Des minorités visibles invisibles

Les conseillers d'arrondissement Josefina Bianco et Younes BoukalaPhoto: Catherine Legault Le Devoir Les conseillers d’arrondissement Josefina Bianco et Younes Boukala

Avec aussi peu d’élus se disant issus de minorités visibles et ethniques, la diversité ne se reflète pas à Montréal, encore moins au Québec. Pourquoi la métropole, si cosmopolite, peine-t-elle encore à attirer des immigrés ? Le Devoir a rencontré trois élus montréalais qui en ont long à dire sur le sujet.

On les appelle les minorités visibles, mais elles sont pourtant presque invisibles dans le lot d’élus au Québec. Le ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire ne tient même pas de données statistiques là-dessus, selon ce qu’a appris Le Devoir. À Montréal, sur 103 élus, il y en a désormais 21 qui représentent cette diversité — minorités visibles (6), minorités ethniques (14) et handicapés (1) —, soit 5 de plus qu’aux dernières élections.

On ne fracasse aucun record ici, croit Nathalie Pierre-Antoine, une élue montréalaise d’origine haïtienne. Elle croyait pourtant que la métropole, qui compte 34 % de minorités visibles, allait faire mieux. « On est quand même en 2017 », dit celle qui a été élue pour un second mandat dans l’arrondissement de Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles pour l’Équipe Denis Coderre.

Ce n’est pourtant pas parce que les électeurs ne sont pas prêts, croit-elle. « La preuve, je suis élue », a-t-elle lancé en riant, citant les exemples de Cathy Wong, d’Abdelhaq Sari, de Marie-Josée Parent, qui se dit d’origine autochtone.

Oui, c’est possible

Immigré du Maroc à l’âge d’un an, Younes Boukala, élu conseiller d’arrondissement à Lachine pour Projet Montréal, s’est dit la même chose. Pour le Québécois de 22 ans, musulman et d’origine berbère marocaine, la seule façon de changer les choses était de plonger lui-même. « Les gens me disaient : “Tu as juste 22 ans et tu te présentes ?” Et moi, je leur disais : “Mais ça prend quoi pour se présenter ? Plein de diplômes et un certain âge ?” Il faut juste oser. »

Sur le Plateau Mont-Royal, les habitants du district De Lorimier ont également accueilli à bras ouverts Josefina Blanco, élue pour Projet Montréal comme conseillère d’arrondissement. « Ça ne fait même pas deux ans que je suis Canadienne et j’ai été élue », s’est réjouie la jeune mère italo-argentine, qui vit au Québec depuis sept ans.

Lors de son porte-à-porte, les habitants du quartier n’ont pas manqué de souligner son petit accent espagnol chantant et lui posaient des questions sur ses origines et ses motivations. « Mais j’ai toujours eu un accueil magnifique », dit-elle, consciente que les choses n’auraient peut-être pas été aussi simples dans un autre arrondissement. « La réponse était positive, que ce soit des femmes immigrantes, qui étaient très fières, ou des Québécois. »

Discrimination positive ?

Mais alors, pourquoi si peu de diversité ? D’emblée, il n’y a pas lieu de jeter la pierre aux partis, qui ont fait de grands efforts de recrutement, constate Mme Pierre-Antoine. N’empêche : sur 298 candidats qui se présentaient cette année, 43 (14 %) ont dit appartenir à une minorité visible, ce qui est loin des 34 % de minorités visibles recensées dans la métropole. Toutefois, en tenant compte de ceux qui se déclarent « minorité ethnique » (43 personnes également), ils ont été au total 86 candidats issus de la diversité à se présenter aux élections de dimanche dernier. Sur ce plan, avec 23 % de minorités visibles dans son équipe, Projet Montréal a fait un peu mieux qu’Équipe Denis Coderre, qui n’en avait que 19 %.

Faut-il obliger les partis à la discrimination positive ? « Il faudrait peut-être une formule pour qu’on soit mieux représentés dans les candidatures, mais le choix final appartient aux électeurs », soutient Mme Blanco. Elle préfère croire en l’émulation et en une « vraie » mobilisation citoyenne. Mme Pierre-Antoine est du même avis. « Il y a du pour et du contre concernant les quotas, et c’est vrai que c’est quand on oblige que les choses finissent par arriver plus concrètement. Mais personnellement, je crois qu’il est toujours mieux de sensibiliser avant. »

Intéresser les immigrants

Pour avoir plus de candidats et d’élus issus de la diversité, encore faudrait-il qu’ils aient un intérêt se présenter. « Comme nouvel arrivant, avant de s’impliquer dans la vie politique, on est “en mode” subsistance. On cherche à se loger, se nourrir, à travailler ; l’implication politique n’est pas une priorité », rappelle Mme Blanco, qui a une formation en travail social. « Il y a aussi des immigrants qui viennent de pays aux histoires politiques très difficiles. Pour croire à nouveau en la politique, ça peut leur prendre du temps », ajoute-t-elle, évoquant le passé dictatorial peu reluisant de son pays d’origine.

Avec sa monarchie, le Maroc n’a pas non plus une grande tradition démocratique, souligne Younes Boukala. « Là-bas, on ne se pose pas de questions. C’est le roi qui décide », dit-il. Il a parfois senti une désillusion de la politique de certains de ses concitoyens de Lachine. « Des [personnes issues de] minorités ethniques me disaient “tu vas être un vendu toi aussi” », raconte-t-il. Il leur répondait aussitôt : « Je veux juste vous dire une chose, ce serait quoi mon intérêt à aller en politique à 22 ans ? Mes parents ont beaucoup souffert pour que je puisse réussir et je veux donner cette même chance de réussite aux autres », se rappelle-t-il. « Neuf fois sur dix, leur approche changeait. »

Voter sans citoyenneté

Et si on l’enlevait l’exigence de citoyenneté pour encourager les gens à aller voter au municipal ? N’y aurait-il pas plus de nouveaux arrivants et de gens d’origines diverses en politique active ? La chose mérite qu’on se penche dessus, lance Josefina Blanco. « Il faudrait voir de façon précise avec quel statut on autoriserait le vote, mais c’est vrai que pour quelqu’un qui vit ici, qui paye ses taxes dans la ville, qui a des enfants à l’école et contribue à son quartier, pourquoi pas ? Ça enracinerait davantage les gens. » Younes Boukala abonde dans le même sens. Après tout, les statistiques montrent que plus un individu commence à voter à un jeune âge, plus les chances sont grandes qu’il revote et s’intéresse à la politique. « Et on aurait au moins une chance de diminuer le faible taux de participation au municipal. »

Une histoire d’amour
Josefina Bianco
Âge : 36 ans
Origine : italo-argentine
Langue : espagnol, français, anglais
Arrivée au Canada : à l’âge de 29 ans
Occupation : mère de deux enfants et détentrice d’une maîtrise en travail social

Josefina Bianco est venue au Québec par amour, et c’est aussi par amour qu’elle s’est lancée en politique. Après avoir vécu en Espagne et brièvement aux Pays-Bas, où elle a étudié le travail social, l’Italo-Argentine s’est finalement installée à Montréal tout juste après avoir eu son premier enfant avec un Québécois. Impliquée dans le C.A. du CPE de ses enfants, à l’école de quartier, au comité de la ruelle verte, Josefina se laissait gagner le cœur par les idées de Projet Montréal. Même si elle a longuement réfléchi avant de devenir membre. « Ça m’a pris un an avant de dire : OK. J’aime Projet Montréal et Projet Montréal m’aime », raconte-t-elle. Elle dit avoir été séduite par la proximité et la disponibilité des conseillers du parti avec les citoyens. « On avait appelé notre conseiller pour le projet d’un dos-d’âne et un jour après notre conseiller d’arrondissement était là, chez nous. Je parlais à peine français, s’étonne-t-elle encore. Je me suis rendu compte que la politique municipale est celle qui a un impact sur notre qualité de vie tous les jours. »

L’enfant de la mondialisation
Younes Boukala
Âge : 22 ans
Origine : marocaine berbère
Langue : berbère, arabe, français, anglais
Arrivée au Canada : à l’âge d’un an
Occupation : étudiant en sciences politiques à l’UQAM

Bon élève mais pas particulièrement impliqué, Younes Boukala a eu la piqûre de la politique active lorsqu’il a été choisi comme ambassadeur jeunesse de Lachine, à l’occasion du 375e anniversaire de Montréal. Peu de temps après, le tragique attentat à la mosquée de Québec le ramène à ses origines, même s’il avait seulement un an quand il a immigré ici. « Quand je suis ici, on me dit que je suis Marocain et au Maroc, je suis Canadien, dit-il. Mais je me sens à la fois Berbère, Arabe, Québécois. Je sens que je peux passer d’une boîte à l’autre. » Soucieux de combattre les préjugés, il s’est demandé comment régler en bas cette peur venant d’en haut. « Je me suis dit que j’allais commencer par mon quartier. C’est le fameux “think global, act local”. » Habitué à être un modèle, notamment pour ses deux jeunes frères, il est fier d’avoir fait le saut. « Comme d’autres immigrants, mes parents voulaient que leurs enfants soient bien, qu’ils puissent manger, dormir et vivre en sécurité. Mais nous, les enfants de la mondialisation, on veut exister. Pas juste subsister », dit-il. Fallait oser.

Une femme engagée
Nathalie Pierre-Antoine
Âge : 49 ans
Origine : haïtienne
Arrivée au Canada : à l’âge de 2 ans
Langues : créole, français, anglais, espagnol,
un peu d’italien
Occupation : gestionnaire dans le réseau de la santé et conseillère élue en 2013

Elle n’a jamais eu l’intention de se lancer en politique active, mais à l’écouter parler avec passion de ce qu’elle fait, on finit par croire qu’elle y était destinée. Détentrice d’un baccalauréat en nutrition et d’une maîtrise en administration des affaires, Nathalie Pierre-Antoine dit s’être toujours intéressée au sort d’autrui. « J’ai toujours été une personne engagée, que ce soit à l’école, dans mon milieu de travail, à l’église. J’aime aider, je suis comme ça », explique celle qui est élue pour un second mandat comme conseillère d’arrondissement dans Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles. C’est donc tout naturellement qu’elle a accepté de s’impliquer en politique fédérale il y a six ans. À partir de là, celle qui était gestionnaire dans le réseau de la santé ne pouvait plus reculer. Elle s’est d’abord présentée pour Projet Montréal, mais c’est sous la bannière d’Équipe Denis Coderre qu’elle s’est finalement fait élire en 2013. « Je ne connais pas tout, mais j’ai la volonté de faire changer les choses. Et si je peux être un modèle pour les gens issus de la communauté noire, c’est tant mieux. »

Par Doudou Sow le Dimanche 12 Novembre 2017 dans Revue des médias. Aucun commentaire