C’est la première fois au Sénégal que le principal parti d’opposition, le parti démocratique sénégalais (PDS) — qui existe depuis 1974, année marquant la fin du parti unique au Sénégal — ne participe à une élection présidentielle et que les principaux adversaires politiques, en l’occurrence l’ancien ministre libéral Karim Wade et l’ancien maire-député Khalifa Sall, sont écartés de manière arbitraire. La démocratie est une affaire de franc-jeu nourrie par des « gentlemen » favorisant de manière élégante la sportivité.

Au Sénégal, on dit « beuré kou meune sa mane sa morome douma » (que le meilleur gagne). La métaphore de la lutte traditionnelle, sport national sénégalais, est invoquée ici pour inciter les différents adversaires à respecter les règles régissant l’arène nationale (pluralisme politique sans élimination politico-judiciaire, égalité des chances par un parrainage transparent et démocratique, etc.).

Au vu des gestes antidémocratiques et dictatoriaux qu’il a souvent posés, le candidat sortant Macky Sall a prouvé qu’il a peur d’affronter certains de ses adversaires politiques. Si le président Sall estime qu’il a un bilan positif à présenter aux Sénégalais, une élection transparente est un baromètre pour le démontrer.

Le dernier mot revient donc à la population sénégalaise, qui est le seul arbitre du jeu démocratique. La Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), qui ne correspond pas aux normes de juridiction internationale est une cour exceptionnellement exceptionnelle et illégitime réactivée par Macky Sall pour juger uniquement un adversaire politique en l’occurrence Karim Wade dans le but de l’empêcher de se présenter aux élections présidentielles.

La reddition de comptes qui était une demande sociale a servi de prétexte au président Sall pour bafouer les droits de certains citoyens. Que l’on aime Wade ou non, ses droits ont été bafoués. Iil n’a pas bénéficié d’un procès juste et équitable. La détention arbitraire est un crime international. Le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de l’ONU, dont le Sénégal est signataire, n’est pas le seul à avoir condamné l’État sénégalais. Les multiples victoires internationales du candidat Wade sont récemment résumées dans un récent communiqué du collectif de ses avocats. L’État du Sénégal a été condamné plusieurs fois par des juridictions internationales sur des dossiers de Karim Wade et Khalifa Sall.

Si l’ancien maire Khalifa Sall avait décidé de se ranger derrière le président Sall, c’est-à-dire renoncer à ses ambitions présidentielles, ce candidat ne serait jamais inquiété ou condamné pour « d’escroquerie aux deniers publics », « faux et usage de faux dans des documents administratifs » et de « complicité en faux en écriture de commerce ». Personne n’entendrait parler de « cette pratique courante » de la régie d’avance de la mairie de Dakar comme le soulignait feu maire Mamadou Diop.

Après la mise à l’écart programmée de ses deux redoutables adversaires politiques par une instrumentalisation judiciaire, le président Macky Sall a imposé une loi du parrainage votée, sans débat par une majorité mécanique, à l’Assemblée nationale, le 19 avril 2018, obligeant les candidats à l’élection présidentielle à obtenir, dans au moins sept régions du Sénégal, entre 0,8 et 1 % des signatures des électeurs inscrits du fichier électoral dans l’espoir de passer à la première étape de la validation de la candidature par le Conseil constitutionnel.

Le respect des règles du jeu démocratique aboutirait à la clarté du scrutin, gage d’une élection apaisée, symbole de la tradition démocratique sénégalaise. Sur les 27 candidatures pour la présidentielle ayant déposé leurs parrainages, seulement 5 ont été retenues par la plus haute instance du système judiciaire. Les candidats à la présidentielle ont été recalés par le Conseil constitutionnel sur la base d’un fichier de référence auquel un seul candidat, le président Sall, avait accès, un favoritisme et une grave discrimination. Un faisceau d’indices démontrant l’irrégularité du processus électoral semble indiquer la confiscation du pouvoir du peuple par Sall (emprisonnement et déportation de Karim Wade, emprisonnement de Khalifa Sall, imposition du parrainage, confiscation et rétention des cartes d’électeurs, exclusion des primovotants, refonte de la carte électorale, imposition de son ministre de l’intérieur, membre de son propre parti, pour organiser frauduleusement les élections, etc.).

L’opposition qui dénonce le parrainage tel que mis en œuvre par le président Macky Sall y voit incontestablement un moyen ou un système d’éliminer des adversaires. La lettre du candidat recalé Bougane Guéye adressée aux diplomates documente, faite à l’appui, la série de manquements parmi lesquels cinq sont souvent cités par les leaders de l’opposition regroupés dans le cadre du C25 (collectif de tous les candidats de l’opposition à la présidentielle) :

1) Des doublons relevés par le Conseil constitutionnel

2) Des incohérences entre les fiches déposées et celles rendues

3) Des parrains rejetés au motif qu’ils ne sont pas électeurs

4) Des manquements confirmés par les observateurs de la société civile

5) Des « rejets non régularisables » dans le dessein d’écarter des candidats gênants face au candidat Macky Sall.

Toujours dans le manque de transparence du processus électoral, un autre candidat leader du mouvement Jen Gu (se révolter) Boubacar Camara faisait savoir à l’opinion publique nationale et internationale que « le parrainage soumis au Conseil constitutionnel est une partie de l’ingénierie de fraude électorale montée par le président Sall pour passer au premier tour. »

Dans une entrevue accordée au journal Seneweb, « Aujourd’hui, au Sénégal, les choses sont simples, c’est le président Macky Sall qui choisit les candidats avec qui il veut aller en élection sauf certains qui ont échappé à ce filtre [du parrainage]. Ensuite, [il mène] une opération pour déstabiliser certains candidats (Sonko, Issa Sall) [pour enfin proclamer] les résultats [qu’il] a sur la table ».

Le président Sall a mis en place « un dispositif » pour une réélection frauduleuse. Il décrit « le triste tableau » retraçant ainsi plusieurs étapes ou énumérant plusieurs gestes posés par le chef de l’État sénégalais pour voler les élections.

En éliminant ses deux redoutables adversaires politiques, Karim Wade et Khalifa Sall, le président Sall, pense s’offrir un boulevard pour obtenir un deuxième mandat. En plus de la liquidation politico-judiciaire de ses deux candidats, certains citoyens sénégalais continuent toujours à se poser des questions sur l’élimination, entre autres, de certains candidats qui ont déjà des bases électorales solides et ont abattu un travail sur le terrain politique depuis des années (Pape Diop, Malick Gakou, Aissata Tall Sall) et un nouveau phénomène implanté sur le territoire avec un mouvement citoyen (Bougane Guéye Dany) qui disait avoir récolté et fait constaté par huissier plus de 800 000 parrains.

L’État avait créé les conditions pour désorganiser volontairement les élections pour reprendre l’expression du célèbre du journaliste indépendant Pape Alé Niang qui avait constaté une planification savamment orchestrée par le pouvoir en place pour saboter le vote dans les localités qui ne leur étaient pas favorables.

L’article 2 de la constitution confère et garantit à l’électeur sénégalais le droit de vote « tous les nationaux sénégalais des deux sexes, âgés de 18 ans accomplis, jouissant de leurs droits civils et politiques, sont électeurs dans les conditions déterminées par la loi ». Mais le ministre de l’Intérieur a privé certains citoyens de leurs droits constitutionnels soit en faisant une rétention de leur carte d’électeur, en changeant subitement la carte électorale à moins de deux mois des élections ou en inscrivant sur le dos de la carte d’identité, « personne non inscrite sur le fichier électoral ».

La démocratie et la citoyenneté appartiennent à tout le monde comme l’a si bien mentionné l’ancien premier ministre Abdoul Mbaye lors de l’émission « Autour du micro » de Dakarmatin, animée par le journaliste indépendant Pape Alé Niang.

La diaspora sénégalaise se mobilise pour des élections libres, transparentes et inclusives. Des Sénégalais de l’extérieur exigent que l’élection présidentielle de 2019 se déroule dans des conditions dignes d’un État de droit. Le fichier électoral doit être accessible à tous les candidats à l’élection présidentielle. Une personnalité neutre pour organiser l’élection, la non-rétention des cartes d’électeurs et la transparence dans la modification de la carte électorale.

C’est un recul démocratique de constater que des Sénégalais soient obligés de manifester, à un mois de l’élection, pour exiger l’accès au fichier électoral et la tenue d’une élection présidentielle transparente. C’est aussi un recul démocratique de discuter à deux mois des élections qui serait candidat ou non. Le peuple sénégalais doit exclusivement décider qui peut remporter l’élection présidentielle et non un président qui choisit ses adversaires politiques ou celui ou celle qui doit voter.

Le pays de la Téranga (l’hospitalité) doit absolument préserver ses acquis démocratiques et l’instauration d’un État de droit afin de conserver durablement sa vitrine de la démocratie africaine. Un coup de force électorale ne devrait passer sous aucune forme.

Doudou Sow, sociologue-blogueur, citoyen socialement engagé et lauréats du Mois de l’histoire des Noirs 2017 et du Gala de la Nuit de l’Excellence afro-antillaise 2019

Lire mes différents articles sur la situation politique sénégalaise :

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Sénégal: une élection présidentielle verrouillée par l’actuel président Macky Sall

Sénégal: le respect du processus électoral, condition indispensable pour une élection apaisée

Lettre ouverte au secrétaire général de l’ONU, António Guterres, sur la situation politique tendue au Sénégal

Une élection présidentielle à haut risque au Sénégal

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La rupture du dialogue politique, une première dans l’histoire démocratique sénégalaise

M. Trudeau, les gestes posés par le président que vous accueillez sont dignes d’un dictateur

Sommet de la francophonie : les vraies affaires

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La maturité du peuple sénégalais citée en exemple dans un livre sur l’intégration des immigrants

La question des flux migratoires dans le contexte de la mondialisation de l’immigration

Par Doudou Sow le Mardi 12 Février 2019 dans Blogue, Opinion, Opinion. Aucun commentaire