L’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade a déclaré le mardi 5 février que les conditions d’une élection libre, transparente, démocratique et inclusive ne sont pas réunies. En clair, le président-candidat à sa propre succession Macky Sall a déjà gagné l’élection du 24 février. Pour cette raison, Me Wade entend « s’opposer à la tenue d’une élection entièrement fabriquée dans le seul but de réélire Macky Sall ». Selon le fondateur du Parti démocratique sénégalais (PDS, libéral) Me Wade, certaines statistiques parlent d’elles-mêmes : « 

1) Bureaux Fictifs : 357.000 Voix ;

2) Duplicata estimés aux environs de 400.000 donc 400.000 voix en plus ;

3) Empêcher plus de 1,5 million de primo inscrits de voter par défaut de carte d’électeur ;

4) Empêcher Plus d’un million de sénégalais de voter par l’intrusion d’erreur dans leurs données électorales (soit éloigner le bureau de vote du domicile de l’électeur – soit ne pas faire figurer le nom de l’électeur dans le listing du bureau de vote, etc… Toutes ces choses bien vécues en 2017 [élection législative];

5)Tout faire pour limiter le total des votants aux environs de 4 millions d’électeurs, ce qui est un bon taux de participation 

6- Sachant que Macky, en tant que Président et candidat sortant dispose d’un stock réel de voix d’environ 1,6 million ».

Bien avant cette déclaration de soupçons de fraude à grande échelle du pape du Sopi (changement) et de la nécessité de sécuriser le fichier et la carte électorale avant l’élection, le leader et candidat à la présidentielle, Ousmane Sonko avait exposé, lors d’un rassemblement politique le 5 janvier dernier, les différents actes posés par le président Macky Sall pour dérouler arbitrairement son coup de force électorale présidentielle.

Selon le leader du parti nommé Patriote du Sénégal pour le Travail, l’Éthique et la Fraternité (Pastef), l’élimination de ses adversaires politiques par la validation de cinq candidatures est le premier acte posé par le président candidat de la coalition Benno Bokk Yakaar (Ensemble pour un Sénégal Émergent), Monsieur Macky Sall.

Le président sénégalais choisit celui ou celle qui doit voter : 1 500 000 Sénégalais n’avaient pas encore reçu leurs cartes d’électeurs à moins d’un mois de la campagne électorale.

Il y a encore quelques semaines, les électeurs et les leaders politiques de l’opposition ne savaient pas où se trouvaient les bureaux de vote. Le ministre controversé de l’Intérieur, Aly Ngouille Ndiaye a redéfini la carte électorale qui concerne plus de 400 000 électeurs entre les régions de Dakar, Diourbel et Thiès (les plus grands centres urbains, poids électoral) et selon le candidat de la Coalition Sonko Président 2019, ce nombre pourrait même atteindre un million de personnes si on y ajoute les 11 autres régions du Sénégal. Pire encore, cette décision volontaire et arbitraire savamment orchestrée par le pouvoir impacterait négativement certains électeurs qui pourraient être surpris lorsqu’ils se présenteront le jour du vote, si rien n’y fait, de constater que leurs noms ne figurent pas sur le registre électoral ou les listes électorales.

Le président Macky Sall est le seul candidat à l’élection présidentielle à avoir accès au fichier électoral intégralement. Une iniquité dans un État de droit, entre lui et les candidats de l’opposition, qui ont souvent exigé, en vain, l’accès à un fichier réel et équitable.

En effet, le président-candidat Macky Sall aidé par son ministère de l’intérieur veut rééditer le coup de la désorganisation volontaire des élections législatives de 2017 (Lire à ce sujet notre prochain article Une fraude électorale est-elle encore possible au Sénégal?).

Le déroulement d’un schéma mis en œuvre par Macky Sall est exécuté à la lettre par son ministre de l’intérieur partisan. Il a juré publiquement de tout faire pour que son candidat gagne au premier tour des élections en inscrivant et en faisant voter massivement pour son candidat, alors que des milliers de Sénégalais réclament depuis des mois leurs cartes d’électeurs, un droit constitutionnel. Celui qui incarne à la fois l’exécutif, le législatif (majorité mécanique à l’Assemblée nationale) et le judiciaire (présence au Conseil supérieur de la magistrature) aurait juré « de mourir plutôt que de perdre le pouvoir » et prépare ainsi l’opinion à un passage en force pour une réélection au premier tour.

Vers un deuxième tour inévitable de l’élection présidentielle

Au vu de la configuration politique actuelle, aucun candidat ne peut passer au premier tour de l’élection présidentielle du 24 février. Le Sénégal a un système électoral à deux tours qui « départagera (au second tour) uniquement les deux candidats ayant le plus de votes (système majoritaire à deux tours) », comme le soulignait « une initiative citoyenne et non lucrative » #JeVoteAu1erPuisAu2ndTour dont des citoyens canadiens d’origine sénégalaise, le consultant en management Assane Badji et Me Pape Kanté, qui « sensibilise et défend la démocratie sénégalaise ».

Le porte-parole du parti de Rewmi, Abdourahmane Diouf, a expliqué de manière convaincante dans une émission présentée par Mamoudou Ibra Kane sur iRadio, du 3 février dernier, comment il sera difficile voire impossible de passer au premier tour de la présidentielle. « Mathématiquement et statistiquement Macky ne peut pas passer au premier tour (de l’élection présidentielle) », soutient M. Diouf.

Dans cette perspective, il faut donc des circonstances et des résultats exceptionnels réalisés par un homme exceptionnel pour pouvoir passer haut la main le premier tour de ce scrutin majeur comportant des enjeux énormes. « La tendance à un second tour lors des trois dernières élections présidentielles, exception faite de 2007 et les résultats des dernières élections législatives du 30 juillet 2017, font que « Macky Sall ne peut pas passer au 1er tour » au soir du 24 février 2019. « C’est mathématiquement, statistiquement totalement impossible », tranche l’opposant. Ce, compte tenu en plus, du jeu des alliances en perspective du scrutin présidentiel ».

L’invité du « Jury du dimanche (…) persiste et signe : « Sur les trois dernières élections, c’est une tendance à un deuxième tour. » Selon ce jeune cadre du parti de Rewmi du candidat Idrissa Seck « 2007, du point de vue des statistiques électorales, doit être considéré comme une exception. L’exception que le président sortant, Me Wade en l’occurrence ait obtenu 55%. Ce qui n’est pas un raz de marée. Il y a eu juste 5% au-dessus de la moyenne pour passer au 1er tour. Encore une fois, c’était une exception. Et, le président Wade avait bâti cette victoire exceptionnelle sur des résultats exceptionnels dans les grandes agglomérations urbaines où il y avait une forte présence démographique, à Dakar et Touba. »

Le responsable de la CECAR (Cellule des Cadres de Rewmi) de préciser que « pour pouvoir faire 55%, il a fallu que le président Wade fasse à Mbacké 82% des suffrages, et à Dakar, département très controversé, 52%. Ce sont ces chiffres exceptionnels à Dakar et à Mbacké qui lui ont permis de franchir la barre des 50%. Si vous regardez la coalition Benno Bokk Yakaar (BBY) dont le bloc est en train d’être reconduit pour l’élection présidentielle, toute proportion gardée, là où Wade avait fait 52% à Dakar, lors des dernières législatives il y a juste un an et demi, BBY a fait 33% ; un déficit de 19 points en termes de pourcentage, qu’il ne peut pas rattraper. Là où Wade avait fait 82% à Mbacké, ils ont fait à BBY, 35% ; un déficit de 47%. Vous ne pouvez pas faire 35% à Mbacké, faire 33% à Dakar et dépasser la barre des 40%. »

Le président Macky Sall avait lui-même avoué lors de l’installation du directoire de sa campagne électorale du 30 janvier dernier qu’il lui fallait gagner l’axe Dakar-Thiès-Diourbel et invitait ses militants à des visites de proximité, une très bonne stratégie d’ailleurs.

Le président-candidat Macky Sall a rendu ironiquement un très grand service à l’opposition en éliminant des candidats à l’élection présidentielle par voie judiciaire ou parrainage, un effet boomerang qui entraîne ainsi un jeu d’alliances clarifiant ainsi les choix électoraux (Lire à ce sujet notre prochain article L’effet boomerang du parrainage mis en œuvre par le président-candidat Macky Sall). Avec la composition des trois grands pôles de l’opposition (Coalition Rewmi 2019, Coalition Sonko Président 2019, Parti de l’Unité et du Rassemblement (PUR)), le candidat de la coalition Benno Bokk Yakaar, Macky Sall sait pertinemment qu’il lui sera difficile de gagner au premier tour.  Certaines circonstances (taux de participation élevé et sécurisation du vote) peuvent même précipiter son élimination au premier tour. Même âgé de 93 ans, l’ancien président Maître Abdoulaye Wade, celui qui a été constamment et incontestablement le maître du jeu politique au Sénégal a toujours les cartes en main pour l’issue du scrutin présidentiel. La consigne de vote de cet architecte de la démocratie sénégalaise pourrait bouleverser la campagne présidentielle et serait un atout indéniable pour celui qui en bénéficiera.

Sous le règne du président Macky Sall, le vote est devenu un privilège et non un droit constitutionnel sénégalais.

Quelqu’un qui choisit ses candidats et ses électeurs choisit forcément ses résultats, répètent souvent les membres de l’opposition. Les chargés d’élection de l’opposition ont donc du pain sur la planche et les citoyens sénégalais se montrent heureusement encore plus vigilants, à moins de deux semaines de la présidentielle, pour éviter la confiscation de leurs droits constitutionnels.  

Il convient également de rappeler que ce n’est pas la première fois que le principal parti de l’opposition sénégalaise, le parti démocratique sénégalais (PDS), ne parle ou n’agite l’idée de boycott des élections sous le règne dictatorial du pouvoir de Macky Sall avant de ne changer finalement d’avis. Souvenons-nous de la position du PDS lors du référendum constitutionnel du 20 mars 2016 et même aussi celle de certains partis de l’opposition qui avaient misé sur une première stratégie de boycott de cette élection qui avait enregistré finalement le taux de participation, le plus faible de l’histoire du Sénégal, se situant à 38,26%.

Le journal Jeune Afrique indiquait d’ailleurs qu’: « À titre de comparaison, le précédent référendum constitutionnel, initié par Abdoulaye Wade en 2001, avait mobilisé 65,7% des électeurs inscrits et le Oui l’avait emporté à 94%. En décomptant les abstentionnistes, c’est donc en réalité 25% du corps électoral qui ont approuvé la réforme des institutions proposée en 2016 (par Macky Sall). »

Le boycott n’ébranle nullement ce président et cette stratégie fera le jeu de celui qui a toujours gagné sans coup férir. Hormis le référendum-présidentiel de 2012 (tout sauf Wade au deuxième tour), le président Macky Sall n’a jamais gagné loyalement ses adversaires politiques. Il n’a jamais respecté les règles démocratiques ou eu l’esprit sportif pour combattre loyalement ses adversaires politiques (les ordres de mission pour gagner à Dakar lors des élections législatives sans compter les emprisonnements de ses redoutables adversaires politiques, parrainage opaque, annonce surprise du référendum à un mois de l’organisation dans une allocution à la télévision sénégalaise, etc.).

Si les électeurs sénégalais renoncent facilement à leurs droits de vote martelant du coup que l’élection sénégalaise est déjà volée, en clair s’ils s’abstiennent ou ne sécurisent leurs votes, le pouvoir en place aura donc réussi son coup de forfaiture. Même si les conditions d’une élection transparente du 24 février ne sont pas actuellement réunies (mauvais processus électoral, exclusion arbitraire des candidats potentiels, système de parrainage opaque, exclusion des primo-votants, etc.), il n’en demeure pas moins que la stratégie de boycott prônée par l’ancien président Wade est loin d’être une solution.

Boycotter l’élection présidentielle, c’est rendre un énorme service au président inélégant, anti-républicain et impopulaire Macky Sall. Les différents acteurs politiques et la société civile doivent donc appeler les Sénégalais à aller voter massivement le 24 février et sécuriser davantage le vote pour amoindrir les risques de fraude électorale (identifier et localiser les bureaux fictifs, surveiller les abris provisoires représentant plusieurs bureaux de vote dans certaines zones, contrôler les duplicatas, empêcher la rétention de cartes d’électeurs, surtout des primo-votants, mutualiser leurs forces sur les effets pervers de la modification de la carte électorale, faire sortir le vote le jour du scrutin, etc.).

Doudou Sow, sociologue-blogueur, citoyen socialement engagé et lauréats du Mois de l’histoire des Noirs 2017 et du Gala de la Nuit de l’Excellence afro-antillaise 2019

Lire mes différents articles sur la situation politique sénégalaise :

Élection au Sénégal : pour un scrutin libre, démocratique et transparent

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Sénégal: une élection présidentielle verrouillée par l’actuel président Macky Sall

Sénégal: le respect du processus électoral, condition indispensable pour une élection apaisée

Lettre ouverte au secrétaire général de l’ONU, António Guterres, sur la situation politique tendue au Sénégal

Une élection présidentielle à haut risque au Sénégal

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La rupture du dialogue politique, une première dans l’histoire démocratique sénégalaise

M. Trudeau, les gestes posés par le président que vous accueillez sont dignes d’un dictateur

Sommet de la francophonie : les vraies affaires

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La question des flux migratoires dans le contexte de la mondialisation de l’immigration

Par Doudou Sow le Mercredi 13 Février 2019 dans Blogue, Opinion, Opinion. Aucun commentaire