Source photo : Groupe Facebook Le Québec c’est nous aussi
Le Québec ferme ses portes, pour l’instant, aux immigrants impactés du programme de l’expérience québécoise (PEQ). L’abandon brutal du PEQ envoie un mauvais message à l’international pour plusieurs raisons dont certaines sont même évoquées dans des notes capitales du Ministère révélées par le journaliste François Carabin du journal Le Devoir. « Le gouvernement Legault convient que l’abandon du Programme de l’expérience québécoise (PEQ) aura des « impacts » concrets sur les établissements d’enseignement supérieur, sur les diplômés et sur les entreprises du Québec. Ce qui ne l’a pas empêché d’aller de l’avant sans considérer l’ajout d’une clause de droit acquis ».
Dans son article intitulé « L’abandon du PEQ aura des « impacts » multiples, convient Québec », le journaliste souligne que « le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration rappelle que le nouveau programme que le gouvernement souhaite voir remplacer le PEQ à long terme, le PSTQ, « n’offre pas d’assurance à la clientèle d’être invitée, ce qui peut engendrer un certain manque de prévisibilité pour l’organisation du travail et la planification des entreprises ».
Il va plus loin en citant même les propos du ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration Jean-François Roberge qui indique de manière explicite que : « La fin du PEQ pourrait […] nuire à l’attractivité des établissements d’enseignement du Québec auprès des étudiants étrangers ». Ce qui est une certitude car plusieurs acteurs ont déjà levé le drapeau sur ce point névralgique lors de la dernière commission parlementaire sur la planification de l’immigration au Québec pour la période 2026-2029 que nous avons largement couvert sur nos différents réseaux sociaux.
Les immigrants qui ont tout vendu dans leur pays d’origine ont investi beaucoup d’argent dans l’optique d’obtenir la résidence permanente. Ils ont aussi fait le deuil de leurs familles, de leurs amis mais aussi de leur vie antérieure car l’immigration est un déchirement voire un drame humain.
Ils ont fait de nombreux sacrifices tout en se disant que la résidence permanente en vaut la peine et que le Québec qui est une terre d’accueil se démarque également par sa qualité de vie, que la Belle-province est aussi un havre de paix, que les enfants pourront s’y épanouir, que le Québec est également une société de compromis et de consensus. L’abandon du PEQ plonge ces laissés-pour-compte ainsi que leurs familles dans un avenir incertain. Si certains d’entre eux avaient le moindre doute que le PEQ allait arrêter brutalement et que la fin sans préavis de ce programme les priverait de la réalisation de leur rêve québécois, jamais au plus grand jamais ils ne fouleraient le sol québécois. L’immigration se planifie depuis des années, excepté les réfugiés ou demandeurs d’asile qui n’ont pas que le choix de quitter leurs pays d’origine pour des raisons de persécution.
Une perte de talents d’étudiants formés selon les normes d’excellence québécoise et de travailleurs qualifiés disposant de solides compétences québécoises
La suppression du PEQ impacte non seulement les employés immigrants ou les étudiants diplômés du Québec mais aussi les employeurs qui ont toujours compté sur la fiabilité de cette main-d’œuvre loyale et dévouée à la tâche. Des employés motivés qui se sont toujours impliqués dans la réussite des entreprises québécoises et canadiennes.
Des personnes immigrantes qui ont fait le choix de travailler en région sont très importantes aux yeux des employeurs québécois qui comptent sur ce bassin de main-d’œuvre diversifiée pour honorer leurs contrats, offrir des services à la population. En effet, la pénurie de main-d’œuvre et le vieillissement de la population sont des données factuelles et structurelles, un fait indéniable.
Des employés recrutés depuis plus deux années ou moins avaient pour objectif d’obtenir la résidence permanente et de faire venir leurs familles au Québec. L’obtention du CSQ, première étape vers la résidence permanente de certains travailleurs étrangers temporaires (TET) permettait aussi aux employeurs québécois de s’affranchir une partie des quotas (de 20% à 10%) fixés par le fédéral pour des postes à bas salaire. Un salaire horaire inférieur à 34,62 $ correspond actuellement à un poste à bas salaire selon les exigences du fédéral.
La chronique de Paule Vermot-Desroches du Le Nouvelliste « Abolition du PEQ : promesse brisée, entreprise fragilisée » parue dans le journal Le Soleil est révélatrice des multiples conséquences de la fin du PEQ, un levier d’attraction à plusieurs égards. « L’abolition récente du Programme de l’expérience québécoise (PEQ) n’a pas que des répercussions chez les travailleurs étrangers qui espéraient un avenir plus radieux au Québec. Des entreprises d’ici commencent à élever la voix pour dénoncer les importantes répercussions qu’aura cette décision. Une décision que bon nombre de travailleurs étrangers qui devaient bénéficier du programme décrivent encore comme injuste et incompréhensible. »
Le Québec est en train de laisser filer entre les doigts des profils idéaux au profit des provinces anglophones ou bilingues. Les immigrants se sentent absolument trahis par le Québec. Résultat des courses : une perte de talents d’étudiants formés selon les normes d’excellence québécoise, de travailleurs qualifiés disposant de solides compétences québécoises. Le Québec est allé chercher des étudiants étrangers et des travailleurs étrangers temporaires en leur promettant la résidence permanente.
Le Programme de sélection des travailleurs qualifiés (PSTQ) est qualifié de programme imprévisible car l’aspirant attend une invitation qui peut venir ou non avec un système de pointage. Une situation qui crée une insécurité et beaucoup de stress comme le faisait remarquer un récent reportage. « Fin du PEQ : incertitudes et promesse brisée pour des étudiants de l’UQO », une entrevue de Maude Rivard de Radio-Canada Ohdio avec Fatouma Sylla et Oumar Fofana qui siègent comme conseillers à l’Association générale étudiante de l’Université du Québec en Outaouais (l’UQO).
La « clause grand-père » est le « strict minimum », plaide le député et porte-parole de Québec solidaire en immigration, Guillaume Cliche-Rivard. Les immigrants qui se perçoivent considérés comme des chiffres disent également qu’ils paient des impôts et qu’ils contribuent grandement à l’économie québécoise et au développement multidimensionnel de la société.
Les titres des journaux sont évocateurs : « Abolition du Programme de l’expérience québécoise pour les immigrants | Respecter les cibles, oublier les humains » (La Presse); Abolition du PEQ | « Ces immigrants se sentent trahis par Québec » (Radio-Canada) et la liste est longue.
« Programme de l’expérience québécoise | J’ai quitté mon pays fort d’une promesse du Québec», ce témoignage de Julian Ballester, doctorant en études littéraires (UQAM) publié dans La Presse démontrait tout le climat d’incertitude qui entourait les nouveaux changements en immigration.
« Pour tous les étudiants qui, comme moi, sont venus au Québec sur la base de ce programme d’immigration séduisant et sécurisant, c’est toute une trajectoire de vie qui, du jour au lendemain, s’est effondrée. » Le PEQ qui a été mis sur pause en novembre 2024 a pris fin le 19 novembre 2025.
« Les immigrants jetables », tel est le titre d’une chronique de Mylène Moisan dans le journal Le Soleil qui humanise l’immigration. C’est pourquoi, il est important de nommer ces gens, de raconter leurs parcours de vie, leurs trajectoires, leurs craintes, espoirs mais aussi leur état psychologique actuelle car beaucoup d’entre eux ne dorment plus. Des rêves brisés. « Alors ça y est, d’un simple claquement de doigts, le gouvernement caquiste a fait disparaître le Programme de l’expérience québécoise, le PEQ, qui pourra être rebaptisé le MPEQ, le Programme de la mauvaise expérience québécoise », ironise la journaliste tout en faisant aussi allusion au nouveau programme sélectif et restrictif, le PSTQ.
La couverture médiatique sur la clause grand-père est largement favorable aux orphelins du PEQ. « Ces gens sont des humains, pas des travailleurs jetables. Ils ont quitté leur pays sur la foi d’une promesse. Ils ont investi temps et argent dans leur projet d’immigration au Québec. Ils contribuent déjà à la société. Ils ne demandent pas mieux que de continuer à le faire. La moindre des choses serait de tenir parole plutôt que de continuer à dire n’importe quoi[1]», écrivait Rima Elkouri dans sa chronique publiée dans La Presse.
« Fin du PEQ : des immigrants craignent de devoir quitter le Québec », un reportage de Radio-Canada qui décrit très bien la situation épouvantable que vivent actuellement les immigrants. « C’est la consternation chez bien des immigrants depuis que Québec a décidé de mettre fin au PEQ. Ils sont des milliers à avoir tout quitté pour venir travailler ici dans l’espoir d’accéder à la résidence permanente. »
« Les gens qui avaient fait leurs demandes officielles, le changement du PEQ vers le PSTQ ne les affecte aucunement. Leur demande va être traitée », affirme Jean-François Roberge. Pas si sûr selon les divers témoignages et les réalités du terrain.
La mobilisation des impactés du PEQ est loin de se terminer. Les immigrants réclament minimalement une clause de droits acquis pour les personnes déjà établies sur le territoire et répondant aux critères de l’ancien programme considéré comme l’un des meilleurs en matière d’immigration depuis plus d’une décennie. Sous la houlette du collectif Le Québec c’est nous aussi, ils seront le vendredi 12 décembre à 11h devant le ministère de l’immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) pour manifester contre la suppression du PEQ et pour la clause grand-père.
Doudou Sow, sociologue du travail et des organisations et auteur de quatre ouvrages sur l’intégration et la régionalisation de l’immigration
[1] « Demandeurs d’asile | Quand le ministre Roberge dit n’importe quoi », une chronique de Rima Elkouri, La Presse, 22 novembre 2025.
Par Doudou Sow le Lundi 08 Décembre 2025 dans Blogue, PEQ (étudiants étrangers et travailleurs temporaires spécialisés). Aucun commentaire
