« Le président Macky Sall n’a réellement obtenu que 74 députés. Il le sait lui-même et il sait que je sais. Peu importe les magouilles faites par les tenants du régime pour obtenir une majorité parlementaire, c’est le message du peuple sénégalais qui est important à retenir. Car pour la première fois dans l’histoire politique sénégalaise, le peuple sénégalais a infligé une défaite cinglante à un président lors des élections législatives ». Cette analyse factuelle vient du célèbre et très réseauté journaliste Pape Alé Niang de Dakarmatin lors de son émission en direct hebdomadaire du mardi 16 août intitulée Arrêtez de mentir s’il vous plait!

La conférence des leaders de la coalition Yewwi Askan Wi (Libérer le Peuple) avait aussi accusé, par voie de communiqué, « le président Macky Sall d’avoir instruit le ministre de l’Intérieur de se débrouiller pour, dit-elle, lui trouver 82 députés, comptant certainement sur un ralliement programmé pour atteindre les 83 exigés pour obtenir la majorité absolue ». La principale coalition de l’opposition est cohérente dans ses démarches en ne déposant pas un recours auprès du Conseil constitutionnel. En effet, la Coalition dirigée par le leader Ousmane Sonko est allée aux élections législatives sans ses candidats titulaires. Sa liste nationale a été invalidée début juillet par le Conseil constitutionnel. 102 universitaires sénégalais avaient alors publié un manifesteaffirmant que la juridiction spécialisée n’avait pas dit le droit. La réaction à la fois politique et intellectuelle constitue un désaveu et une perte de confiance notable envers la plus haute instance du système judiciaire qui a toujours manqué le rendez-vous de l’histoire avec le peuple sénégalais. « La consolidation de l’État de droit suppose, à l’évidence, une justice plus indépendante », soulignaient les auteur.e.s du manifeste.

Les élections législatives, à un seul tour, visent à renouveler pour cinq ans les 165 députés que compte l’Assemblée nationale. Malgré les irrégularités notées et dénoncées dans le vote, surtout dans certaines localités, plus particulièrement le Nord, le caractère symbolique de cette victoire du peuple sénégalais revêt plusieurs significations. Le peuple sénégalais vient encore de dire non à un président qui a toujours déroulé, de manière anti-démocratique, son plan de confiscation populaire. Les Sénégalais peuvent ressentir une fierté dans leurs votes démocratiquement exprimés. La bonne lecture du message des électeurs sénégalais adressé au chef de l’État démontre que le vent de changement est irréversible, plus particulièrement, depuis les élections locales de janvier 2022.

La qualité de vote des Sénégalais de ce scrutin inédit est à saluer

Avec une majorité relative (différence d’un député entre le camp présidentiel et l’opposition réunie), le président Macky Sall n’est plus le maître du jeu politique d’autant plus que le vote est secret et qu’il est aussi en fin de règne. Précisons que la coalition au pouvoir Benno Bokk Yakaar (BBY- « unis pour le même espoir ») compte 82 députés (en nette baisse par rapport à ses 125 députés élus en 2017 sur les 165 que compte l’Assemblée nationale). Le camp présidentiel a obtenu une majorité au dernier moment grâce à l’appui de l’ancien maire de Dakar et ancien président de l’Assemblée nationale, Pape Diop. Un ralliement programmé en faveur de la coalition au pouvoir qui n’a guère surpris les Sénégalais, pour plusieurs raisons. La coalition Bokk Gis Gis Liggey (vision commune) dirigée par Pape Diop qui se réclamait de l’opposition a finalement détourné les votes de ses électeurs. L’inter-coalition composée de Yewwi Askan Wi (Yaw-Libérer le Peuple) formée autour du principal opposant Ousmane Sonko et Wallu Sénégal (« secourir le Sénégal ») dirigée par l’ancien président Abdoulaye Wade obtient 80 députés. Les deux autres coalitions obtiennent les 2 députés avec la « méthode du plus fort reste » : AAR Sénégal (Alternative pour une Assemblée de Rupture), avec comme tête de liste, Thierno Alassane Sall, ancien ministre démissionnaire du gouvernement Macky Sall; et la coalition Les Serviteurs-MPR de Pape Djibril Fall, un journaliste et ancien chroniqueur.

Lors de son point de presse du 18 août au cours duquel il officialisait sa candidature pour l’élection présidentielle de 2024, l’ancien député Ousmane Sonko annonçait travailler d’arrache-pied sur une quinzaine de proposition de lois et une vingtaine de commissions d’enquête parlementaires. Ce qui dénote l’importance d’avoir une solide équipe technique parlementaire, qu’il qualifiait de laboratoire, pour accompagner convenablement les députés dans leurs travaux et rôles. Les Sénégalais, par leurs votes, ont voulu imposer un véritable rôle représentatif du parlement et traduire le fait qu’aucune coalition, fût-elle du camp présidentiel, ne peut faire passer une loi sans une discussion au préalable des différents élus parlementaires. Cette élection a aussi réglé la question d’assiduité des députés (pas de majorité= pas d’absentéisme). Les Sénégalais peuvent être partagés entre joie (fait inédit de la cohabitation, perte du pouvoir de la majorité absolue du camp présidentiel, pouvoir réel de l’Assemblée nationale assumé, négociation parlementaire et dialogue nécessaires, assemblée représentative), et colère des résultats officiels des élections (coup d’état électoral, hold-up électoral ou confiscation des élections par le pouvoir en place, de « bourrage d’urnes » et de « procès-verbaux préfabriqués et sans signature » dans certaines localités, tripatouillage des chiffres, etc.). Le bourrage d’urnes a impacté sur les résultats au niveau proportionnel, permettant à la coalition au pouvoir de faire un rattrapage sur son retard énorme souligné par tous les acteurs, notamment les journalistes qui ont couvert les élections et ont constaté la percée significative de la coalition de l’opposition dans les grandes villes mais aussi les départements. L’opposition comptait sur cette quatorzième législature qui pourrait faire mieux que la dernière en remplissant ses trois fonctions correctement et efficacement : voter les lois, contrôler l’action gouvernementale et évaluer les politiques publiques.

Le contrôle du gouvernement par des questions d’actualité, un fait majeur d’une démocratie parlementaire

Cette nouvelle assemblée pourrait exercer un avantage significatif sur le contrôle du gouvernement par des questions d’actualité, ce qui constitue un fait majeur d’une démocratie parlementaire. Il convient de rappeler que le 03 juin dernier, à moins d’un mois et demi du déclenchement des législatives, la loi sur les Organismes génétiquement modifiés (Ogm), a été adoptée en procédure d’urgence (vote sans débat par les députés) au Sénégal puisque la coalition au pouvoir disposait d’une majorité mécanique de 125 députés sur les 165. Avec ces élections législatives de juillet dernier, l’opposition réunie est donc passée de 30 députés en 2017 à 83 députés en 2022. Le camp présidentiel a obtenu une majorité au dernier moment grâce à l’appui de l’ancien maire de Dakar et ancien président de l’Assemblée nationale, Pape Diop. Un ralliement programmé en faveur de la coalition au pouvoir Benno Bokk Yakaar (unis pour le même espoir) qui n’a guère surpris les Sénégalais, pour plusieurs raisons.

En définitive, un mandat représentatif doit instaurer un esprit de dialogue au lieu d’être une chambre d’enregistrement, d’applaudissements et de députés de Macky Sall comme certains les revendiquaient fièrement.La dernière législature a été incapable de dresser un bilan pour les 5 ans passés. Les travaux des commissions parlementaires peuvent être consensuels et productifs, contrairement à la période de questions qui fait souvent l’actualité-on montre à la télé les joutes oratoires de 2 à 3 mn entre le parti présidentiel et les oppositions; un phénomène mondial, précisons-le-.

Pour faire avancer les dossiers, les députés auront tout à gagner en travaillant de manière constructive, pour l’intérêt du peuple sénégalais. La configuration actuelle de l’Assemblée nationale (majorité relative de 83 députés) fera de telle sorte que des compromis seront nécessaires, et tant mieux si les intérêts exclusifs des Sénégalais sont pris en compte. Cette assemblée pourrait être dissoute seulement deux ans après son installation en vertu de l’article 87 de la Constitution (alinéa 2, se référer à l’enseignant en droit public et constitutionnaliste Ngouda Mboup).

Certains observateurs et politiciens pensent que cette élection législative a réglé définitivement la question du débat sur le troisième mandat. Rien n’est moins sûr que ce scrutin inédit freine les intentions du président Macky Sall de briguer une troisième candidature. Les Sénégalais n’ont pas affaire à un gentleman avec un esprit de fair-play et d’élégance républicaine (lire à ce sujet, Plus de 10 ans de terrorisme d’État sur le peuple sénégalais par le sociologue-blogueur Doudou Sow).

Lire mes différents articles sur la situation politique sénégalaise :

Tentative de hold-up électoral au Sénégal : l’’histoire semble se répéter avec les élections législatives de 2022

Tentative de hold-up électoral des élections au Sénégal sous le régime du président Macky Sall : un rappel des faits s’impose

Les enjeux du scrutin des législatives au Sénégal

Législatives au Sénégal, un scrutin test avant les présidentielles de 2024

Résister par tous les moyens possibles à la confiscation de la volonté populaire

La cohabitation à l’Assemblée nationale actée, une première dans l’histoire politique sénégalaise

Les faits sur l’impunité au Sénégal parlent d’eux-mêmes

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Ousmane Sonko, le « sauveur » du régime du président Macky Sall

Cap vers l’élection présidentielle de 2024 pour abréger la souffrance des Sénégalais et redonner espoir à la jeunesse

Plus de 10 ans de terrorisme d’État sur le peuple sénégalais

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Doudou Sow, sociologue-blogueur, citoyen socialement engagé et lauréats du Mois de l’histoire des Noirs 2017 et du Gala de la Nuit de l’Excellence afro-antillaise 2019

Par Doudou Sow le Samedi 20 Août 2022 dans Blogue, Opinion. Aucun commentaire