La reconnaissance des diplômes et des acquis n’est pas l’affaire d’un seul ministère, mais elle concerne tous les acteurs impliqués dans le dossier. Et comme le faisait remarquer, à juste titre, Pascale Chanoux dans son article La reconnaissance des acquis et des compétences des personnes immigrantes :
« Contrairement à ce que d’aucuns pensent généralement, le problème de la RAC [La reconnaissance des acquis et des compétences] est avant tout celui de la société québécoise dans son ensemble plus que celui des immigrants eux-mêmes. En effet, c’est elle qui vit des problèmes de pénuries de main-d’œuvre qualifiée et qui connaîtra un grave problème de relève à l’horizon. Pour y faire face, c’est elle qui a choisi d’accroître d’année en année son immigration économique et s’est dotée d’objectifs ambitieux en matière de régionalisation de l’immigration[1]. »
Pour celle qui a travaillé pendant quatre ans en qualité d’agente de développement au dossier de la reconnaissance des acquis et des compétences pour le Comité d’adaptation de la main-d’œuvre pour les personnes immigrantes (CAMO-PI), « De toutes les questions relatives à l’intégration économique[2] des personnes immigrantes, celle de la reconnaissance des acquis et des compétences (RAC) est sans doute l’une des plus complexes[3] ».
Le communiqué Accueil Recherche Sciences sociales – Psychologie qui démontrait l’entrecroisement des difficultés des femmes immigrantes reprenait les statistiques de l’organisme « Conference Board du Canada (2004), qui estimait que : « les pertes attribuables à la non-reconnaissance des diplômes pour l’ensemble des travailleurs au Canada sont de l’ordre de 4,1 à 5,9 milliards de dollars, dont 74 % liés aux travailleurs immigrés[4] ».
Michel Kelly-Gagnon, ancien président du conseil du patronat du Québec, la plus grande confédération au Québec composée de 63 associations patronales sectorielles, dans le cadre de la planification de l’immigration au Québec pour la période 2008-2010, disait à juste titre, au sujet de la non-reconnaissance des diplômes des immigrants par les ordres professionnels, que : « […] Le refus de reconnaître un diplôme obtenu à l’étranger entraine des conséquences néfastes non seulement pour le titulaire du diplôme, mais pour la société dans son ensemble, dans la mesure où son capital humain et surtout le capital humain détenu par les immigrants qualifiés doit être mis à contribution, et ce capital s’effrite à travers les années s’il n’est pas utilisé[5] ».
L’économie montréalaise souffre de la déqualification des immigrants comme le révélait le titre de cet article qui se basait sur une étude du service économique de la RBC : « Sous-emploi chez les immigrants – Des pertes de 5 milliards de dollars (31 milliards de dollars au Canada), Étienne Laberge, 24H, 31 janvier 2012 ».
Coût économique de la non-reconnaissance des compétences
Le journal algérien Elwatan, qui reprenait certaines statistiques officielles, mettait le doigt sur le manque à gagner de l’économie canadienne : « Les pertes que subit l’économie du pays en raison de la non-utilisation de ses compétences atteindraient plusieurs milliards de dollars par an. Selon l’Institut statistique Canada, six immigrés sur dix travaillent dans un domaine qui n’était pas le leur dans leur pays d’origine et 42 % d’entre eux ont un niveau de formation supérieur à celui requis par leur emploi[6] ».
Si les rôles et responsabilités d’une profession réglementée changent d’un pays à un autre, rien ne justifie le retour aux études de plus de trois années des personnes immigrantes. Par exemple, une personne immigrante âgée de plus de 35 ans se retrouverait ainsi, après le retour aux études, à chercher un emploi dans la quarantaine.
Des diplômés universitaires qui ont plus de dix années d’expérience professionnelle dans leur domaine de compétence se voient obliger de retourner aux études pour trois, voire cinq années supplémentaires. Certains d’entre eux perçoivent très mal cette situation et décrivent le retour aux études comme un éternel recommencement. Dénonçant ce paradoxe, ils se plaignent de suivre des cours qu’ils ont déjà dépassés. Ils vont plus loin en critiquant le fait qu’ils partagent, dans la même classe ou le même module, des cours avec de jeunes étudiants québécois n’ayant pas le même niveau scolaire ou universitaire. Cette situation est vécue encore plus dramatiquement s’ils ne trouvent pas un emploi à la fin de la formation.
L’article de l’agence QMI, qui reprenait les conclusions de l’étude de l’Institut de recherche et d’informations socio‑économiques (IRIS), allait dans le sens d’une meilleure maximisation de l’apport économique advenant une reconnaissance des compétences des travailleurs qualifiés immigrants : « Selon les statistiques émises par l’IRIS, si les compétences des personnes immigrantes étaient pleinement reconnues, l’économie canadienne gagnerait l’équivalent de 370 000 travailleurs [selon également les économistes de la Banque TD]. Les revenus des immigrants augmenteraient alors de 30,7 milliards $, soit 2,1 % du PIB[7] [8]. »
L’article de Louise Leduc du journal La Presse qui s’appuyait sur les chiffres des économistes de la Banque TD est révélateur des difficultés d’intégration des personnes immigrantes : « Emploi : les immigrés sont désavantagés au Québec[9] ».
Comme il a été mentionné dans le rapport de la recherche-action La reconnaissance des diplômes et des compétences : difficultés et impacts chez les femmes immigrantes[10] d’Action travail des femmes, l’« Impact de la non-reconnaissance des diplômes et compétences sur les femmes immigrantes diplômées à l’étranger [entraîne] la précarité professionnelle, le retour obligé aux études, [la perte] d’estime de soi, [un problème de] santé[11] ».
La non-reconnaissance des diplômes et des compétences devient donc une problématique multidimensionnelle qui nécessite une collaboration entre les différents acteurs impliqués dans le dossier de la RAC. Le fait de faire attendre une personne pour commencer une formation coûte du temps et de l’énergie à la personne elle-même, mais aussi à la société. L’opérationnalité des profils en lien avec les exigences des employeurs ou l’acquisition de compétences manquantes par le biais des formations accélérées permet d’intégrer plus facilement les nouveaux arrivants au marché du travail québécois.
[1] Pascale Chanoux, « La reconnaissance des acquis et des compétences des personnes immigrantes », Vivre ensemble, volume 11, no 38 (Automne 2002/Hiver 2003), p.24.
[2] « L’intégration économique signifie que la personne a trouvé un emploi à la mesure de ses capacités et de ses qualifications professionnelles. À distinguer de l’intégration à l’emploi qui indique simplement que la personne travaille. » Ibid ; p.24.
[3] Ibid ; p.24.
[4] UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL. Être femme et immigrée: deux obstacles majeurs pour un emploi qualifié : Communiqué, Montréal, 14 Septembre 2009.
[5] Audition conseil du patronat du Québec (CPQ), « Consultation générale et auditions publiques sur le document de consultation intitulé La planification de l’immigration au Québec pour la période 2008-2010», Journal des débats de la Commission permanente de la culture, vol. 40 « 38e législature, 1re session (8 mai 2007 au 5 novembre 2008) », no 10, 25 septembre 2007.
[6] Elwatan, « Canada-Algérie: Les diplômes étrangers reconnus », 2 décembre 2009.
[7] Marie-Pier Gagné, « Taux de chômage-Le taux est trop élevé chez les immigrants », Agence QMI, 27 novembre 2012.
[8] Ibid.
[9] Louise Leduc, « Emploi: les immigrés sont désavantagés au Québec », La Presse, 28 novembre 2012.
[10] Amel Belhassen-Maalaoui et Darline Raymond, La reconnaissance des diplômes et des compétences : difficultés et impacts chez les femmes immigrantes, rapport de recherche action, Montréal, Action travail des femmes, septembre 2008.
[11] Ibid; p.8.
Première parution : 20 novembre 2014
Source : Conséquences de la non-reconnaissance des diplômes et des compétences au niveau économique et social
Par Doudou Sow le Mercredi 01 Novembre 2017 dans Avis de l’expert, Reconnaissance des acquis, diplômes et compétences. Aucun commentaire