L’arbitre, plus précisément le « Conseil constitutionnel est acteur dans le processus électoral et juge », selon une affirmation du candidat recalé Bougane Gueye Dany lors de sa conférence de presse du 11 janvier. Il a réaffirmé cette déclaration dans le cadre de la célèbre émission Pencoo Walf du vendredi 12 janvier dernier.

La sélection présidentielle a empêché les Sénégalais d’avoir des débats télévisés avec une confrontation sur les programmes, les visions -surtout sur le patriotisme économique- et les ambitions des principaux partis politiques. En effet, un bon candidat qui a une offre programmatique très intéressante pourrait être éliminé à cause de sa position dans le tirage au sort et des doublons.


Le Collectif des candidats « spoliés » de leurs parrainages, au nombre de (+27), a dénoncé auprès du Conseil constitutionnel (CC) des « injustices flagrantes ». Ce qui est désolant pour l’image de la démocratie sénégalaise réside dans le fait que les candidats à l’élection présidentielle n’ont aucune maîtrise de la procédure de vérification du processus de parrainage. 21 candidats sur 93 ont passé la première étape de validation de leurs dossiers par la juridiction suprême du pays.

L’heure est donc grave. Les citoyens devront aller récupérer les cartes d’électeurs, si ce n’est déjà fait. Selon les déclarations des oppositions basées sur les nombres issus du rejet du Conseil constitutionnel, plusieurs électeurs sénégalais estimés entre 900 000 à 1 million, près de 12 % selon certains chiffres (sans oublier les primo votants et d’autres électeurs qui n’ont pas parrainé les candidats à la présidentielle), risqueraient de ne pas voter le jour de l’élection parce qu’ils ont été enlevés à leur insu du fichier électoral ou à cause de la reconfiguration de la carte électorale.

Les cas les plus célèbres sont ceux des candidats déclarés à l’élection présidentielle qui ne figurent même pas dans le fichier général des électeurs (Mouhamed Ben Diop et Mary Teuw Niane : deux candidats recalés) en plus de l’absence de parrains proches ou membres de la famille dudit fichier électoral (le mari de la candidate recalée à l’élection Assome Aminata DIATTA n’est pas non plus dans le fichier); le traitement informatique bâclé des fichiers de parrainage décrit méthodiquement par le candidat recalé Charles Emile Abdou Ciss mais aussi d’autres graves révélations sur les doublons, les noms et prénoms inventés par le logiciel.

Le candidat recalé Bougane Gueye Dany a raison de rappeler avoir déjà relevé en février 2019, lors de la dernière élection présidentielle, toutes les graves failles actuelles liées au manque de transparence du processus électoral sénégalais. En effet, dans une lettre adressée aux diplomates, il avait documenté, faits à l’appui, la série de manquements parmi lesquels cinq étaient souvent cités par les leaders de l’opposition regroupés dans le cadre du C25 (collectif de tous les candidats de l’opposition à la présidentielle) :


1) des doublons relevés par le Conseil constitutionnel ;
2) des incohérences entre les fiches déposées et celles rendues ;
3) des parrains rejetés au motif qu’ils ne sont pas électeurs ;
4) des manquements confirmés par les observateurs de la société civile ;
5) des « rejets non régularisables » dans le dessein d’écarter des candidats
gênants face au candidat Macky Sall. (Lire à ce sujet Élection au Sénégal : pour un scrutin libre, démocratique et transparent, Doudou Sow, Le Droit, 10 février 2019)


Par voie de communiqué de Mme Aminata Touré candidate de Mimi2024 en date du 4 janvier, l’ancienne première ministre s’insurge contre « la pratique frauduleuse » dont elle se dit victime comme le prouve cet extrait : « Le récépissé de dépôt de déclaration de Candidature en date du 25 décembre 2024, signé par Maître Ousmane Dia et portant son cachet de Chef du Greffe du Conseil Constitutionnel indique que notre mandataire national a présenté en support papier et sur clé USB 58.975 parrains (maximum autorisé) répartis sur 14 régions dont Saint-Louis. Lors de la vérification au Conseil Constitutionnel, ce jeudi 4 janvier 2024, notre mandataire a été informé que toute la région de Saint-Louis ne sera pas incluse dans la vérification alors notre clé USB est restée au niveau du greffe du Conseil Constitutionnel. Ceci est la preuve manifeste de la manipulation frauduleuse de notre clé USB. ».

Plusieurs candidats à la candidature avaient également pris la précaution de faire des copies de la carte d’électeurs de parrains qui, curieusement, ont été déclarés non identifiés dans le fichier électoral, lors de la vérification du parrainage par le CC. Les nombreuses incongruités, anomalies ou bizarreries témoignent d’un processus électoral déjà biaisé en plusieurs étapes.


Compte tenu des gestes antidémocratiques et antirépublicains souvent posés par le régime de Macky Sall, la communauté internationale et les amis du Sénégal ne devraient pas alors écarter ou s’étonner des
contestations pré et postélectorales d’un scrutin dont la régularité a été entachée par le pouvoir qui dispose exclusivement du fichier, une iniquité dans une démocratie. Le peuple sénégalais devra avoir son dernier mot le 25 février et éviter toute confiscation de son droit de vote même si, comme le mentionnait le vaillant député Guy Marius Sagna, le président Macky Sall a pratiqué dans cette élection cruciale « une double sélection (de candidats et d’électeurs) ».

L’opposition qui se veut cohérente dans son combat pour un vrai changement devra donc soutenir un candidat qui n’est pas du système et qui aura de réelles chances de gagner cette élection. La victoire du peuple n’aura jamais été si proche. Ce n’est pas à un mois des élections qu’il faut douter de la détermination des Sénégalais à en finir avec le régime qui les a tant méprisés.

La Commission électorale nationale autonome (CENA), organe qui doit superviser les élections, a annoncé à moins de deux mois de la cruciale élection par le biais d’un communiqué en date du 5 janvier que « la version du fichier électoral actuellement disponible sur son site n’est pas encore mise à jour relativement à l’élection présidentielle du 25 février 2024 ». La question légitime qu’il faut se poser alors est à quel fichier s’est fié le Conseil constitutionnel pour entériner ou éliminer des candidats à la candidature dans la première étape du parrainage?

Une politique du « deux poids, deux mesures » met à nu toutes dérives du système notamment sur le candidat de la coalition Sonko président 2024, Ousmane Sonko. « Comment peut-on refuser au chef de l’opposition Ousmane Sonko qui n’est pas dans le fichier sa caution et accepter celle de Mouhamed Ben Diop qui n’est pas non plus dans le fichier ? » s’interrogeait à juste titre Bassirou DIENG, Coordonnateur de Mimi2024 du département de Pikine. « Le Sénégal, les 7 juges du Conseil constitutionnel, l’Afrique et le monde savent [pertinemment] que la CDC [Caisse des dépôts et consignations] a refusé illégalement et systématiquement de produire une attestation pour Ousmane Sonko », comme le soulignait Ayache Bielsa dans une publication Facebook du 13 janvier. Précisons que le directeur général de la Caisse des dépôts et Consignations Cheikh Issa Sall est membre actif du parti au pouvoir et maire de la ville de Mbour.

Le parrainage n’a pas fini de révéler tous ses secrets. Avec tous les gestes dictatoriaux posés par le président Macky Sall, son administration partisane et sa justice instrumentalisée, le Sénégal se dirige vers une sélection présidentielle au lieu d’une élection présidentielle. La diaspora sénégalaise, comme à son habitude, ne restera pas sur la touche. Elle sera, au contraire, partie prenante du processus électoral. La diaspora sénégalaise qui défend un seul parti, le Sénégal, continuera à se mobiliser pour des élections libres, transparentes et inclusives.


Doudou Sow, sociologue-blogueur, citoyen socialement engagé et lauréats du Mois de l’histoire
des Noirs 2017 et du Gala de la Nuit de l’Excellence afro-antillaise 2019

Par Doudou Sow le Lundi 15 Janvier 2024 dans Blogue. Aucun commentaire