Le succès d’une conception québécoise de l’intégration, dans sa version interculturelle, passe par la réussite des politiques d’intégration. L’analyse des politiques publiques centrées sur l’accès au marché du travail illustre une déqualification et son corollaire, la précarité et l’absence de réussite professionnelle de certaines catégories de population. La déqualification professionnelle, ou le déclassement professionnel, n’est rien d’autre que le fait d’occuper un emploi en deçà de ses compétences.
Le fondateur de la sociologie française, Émile Durkheim, dans son livre « De la division du travail social[1] » parle du travail comme facteur d’appartenance à la société. De ce point de vue, l’on comprend aisément la logique des immigrants qui se définissent par une intégration professionnelle dans leur domaine de compétences. Dans des sociétés industrialisées, la question du statut professionnel revêt une importance capitale.
Le taux de chômage atteint parfois plus de 30 % chez certaines communautés culturelles. Il est également reconnu que dans un contexte de récession, de ralentissement économique, d’instabilité économique, de perturbation économique, d’incertitude économique, de redressement économique ou de reprise économique, les immigrants trinquent plus que les natifs de la société. C’est un phénomène mondial. Par contre, même quand l’économie québécoise se portait très bien, les immigrants étaient plus touchés par le chômage. En guise de rappel, en octobre 2007, où le taux de chômage (6,9 %) était à son plus bas depuis 33 ans, celui des personnes immigrantes était très élevé.
La qualité des emplois des immigrants ainsi que la question de la différence salariale entre immigrants et Québécois dits de « souche » sont souvent évoquées pour décrire la précarisation des néo-Québécois.
Les immigrants originaires de l’Afrique subsaharienne qui sont souvent hautement qualifiés et plus scolarisés que la moyenne québécoise sont confrontés à des barrières systémiques (non-reconnaissance des diplômes et des compétences professionnelles par les employeurs et les ordres professionnels québécois, discrimination raciale à l’embauche à l’égard de certaines communautés culturelles, etc.). En effet, ces personnes qui ont été sélectionnées sur la base de critères facilitant en théorie leur intégration rapide en emploi sont parfois frustrées de ne pas retrouver leur dignité humaine.
Si l’on se fie à certaines données et analyses sur la situation des immigrants, l’on peut se questionner sur la précarisation de cette catégorie de personnes, en particulier les minorités visibles, et plus grave encore, d’une partie de ces minorités visibles (Maghrébins, Africains, Haïtiens). Certains membres de la société québécoise ne sont pas conscients des difficultés d’intégration professionnelle des immigrants. Ils répètent souvent que les immigrants doivent suivre le même processus que les étudiants ou les finissants québécois. S’il est vrai que les immigrants ne bénéficieront jamais d’un emploi sur un plateau d’argent, il n’en demeure pas moins qu’ils éprouvent plus de difficultés à s’intégrer sur le marché de l’emploi.
La précarité s’installe parfois avec des emplois qui durent et perdurent pour des immigrants généralement plus instruits que la moyenne canadienne. Au début, les nouveaux arrivants recherchent des « jobines », (terme québécois signifiant petits boulots ou boulots alimentaires) pour payer leurs factures et leurs loyers. Cette stratégie de survie leur laisse peu de temps pour se consacrer à leur recherche d’emploi dans leur domaine de compétence. La précarité risque de s’installer quand certains emplois atypiques (contrat à durée déterminée, emploi à temps partiel involontaire, horaires non flexibles, etc.) perdurent. Si l’on peut comprendre que les nouveaux arrivants occupent, dans un premier temps ou pour leur premier travail, des emplois du secteur secondaire (télémarketing, télécentres, sécurité, manufacture, entretien et ménage, secteur du commerce, magasins ou épiceries), il serait difficile de valider la thèse de leur maintien en emploi dans ces boulots atypiques très précaires.
Certains immigrants sont conscients des nombreux obstacles auxquels ils seront confrontés. Mais au fur et à mesure que les barrières se multiplient, ils perdent espoir et confiance dans le système.
Le chômage isole les personnes immigrantes et entraîne un sentiment de vulnérabilité. La personne immigrante se dévalorise au fur et à mesure et n’a plus le goût de chercher un emploi ou de retourner aux études. Elle perd ainsi ses compétences et connaissances.
Le type d’activité professionnelle des immigrants, qui peut aussi justifier les écarts entre les revenus des natifs et des immigrants, permet aussi de mesurer le degré d’intégration économique des immigrants.
La lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale doit porter une attention particulière aux immigrants, notamment les minorités visibles. La présence ou surreprésentation des personnes immigrantes dans les programmes d’assistance sociale donne de sérieuses indications sur les difficultés d’intégration économique des néo-Québécois. Il faut, à ce titre, éviter les conditions précaires dans lesquelles ils peuvent plonger pendant des années d’où un risque d’enfermement et de ghettoïsation.
L’auteur est sociologue-blogueur, conférencier et consultant. Il a publié en avril 2014 deux livres sur la question de l’intégration professionnelle des personnes immigrantes et l’identité québécoise.
[1] Émile Durkheim, De la division du travail social. 2e éd. 1930, Paris, Presses universitaires de France, 1893.
Par Doudou Sow le Dimanche 08 Octobre 2017 dans Reconnaissance des acquis, diplômes et compétences, Travailler au Québec. Aucun commentaire