Dans une récente entrevue (19 mars) avec l’agence de presse américaine Bloomberg relayée par le site Dakarmatin, le président Macky Sall pense « franchement impossible » la « modification des contrats déjà signés avec les entreprises. [Et que selon lui] Ce serait un tournant désastreux pour le Sénégal ».
Une nouvelle équipe gouvernementale dotée d’une vision solide qui s’appuiera sur une expérience décomplexée des fils du Sénégal saura renégocier les contrats de maniéré avantageuse pour le pays de l’hospitalité. Le nouveau gouvernement n’aura pas le choix que de renégocier les contrats léonins au nom de la justice sociale et de l’économie inclusive.
Dans notre article intitulé « Les enjeux du scrutin des législatives au Sénégal » publié le 3 août 2022, nous disions et réaffirmons encore la préparation du terrain pour la renégociation salutaire des contrats sur l’exploitation des ressources naturelles (gaz, pétrole, or, zircon, lithium, phosphate, fer, marbre, cuivre, etc.).
Les chantiers et les enjeux sont multiples….Une préparation d’un cadre juridique et sociétal pour renégocier, à juste titre, les contrats relatifs aux ressources naturelles s’avère nécessaire et demeure une demande sociale de la population portée, surtout par le candidat de l’opposition, Ousmane Sonko, arrivé troisième de la présidentielle de 2019 (première découverte de pétrole offshore, en octobre 2014, gisements de gaz révélés en mai 2017, pays qualifié par certains experts de « futur émirat du gaz » suite aux dernières découvertes et ses réserves d’hydrocarbures offshore, etc.).
La diaspora sénégalaise, qui bénéficie déjà d’une solide expertise en culture d’entreprise internationale, pourrait jouer un rôle important dans les renégociations mais aussi la sensibilisation de l’opinion internationale sur des contrats léonins défavorables au peuple sénégalais. Que l’on confirme ou infirme que l’État ne récupère que 10 % de son pétrole, la réalité reste que les Sénégalais n’ont pas encore profité de ces opportunités. Le classement 2021 de l’Onu sur les Pays les moins avancés (Pma) dans le monde place le Sénégal parmi les 46 pays les plus pauvres de la planète. Le Sénégal a été aussi classé 162e sur 188 pays pour l’indice de développement humain du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).
Si on veut (1) lutter contre l’immigration clandestine, (2) permettre aux pêcheurs, marchands ambulants, tailleurs, apprentis, etc. de vivre dignement; (3) construire des écoles, universités et hôpitaux de qualité, bref profiter d’une meilleure qualité de vie comme les Occidentaux et réussir le défi environnemental; il faut impérativement une renégociation des contrats sur les ressources naturelles. Cette 14ème législature aurait tout à gagner en préparant le terrain pour la renégociation des contrats, en réétudiant d’abord tous les contrats miniers, pétroliers et gaziers. Les Accords de pêche avec l’Union européenne (UE) tuent également nos pêcheurs et toute la chaîne (mareyeurs, femmes transformatrices de produits halieutiques) qui n’arrivent plus à vivre de leur métier et encouragent par conséquent l’immigration clandestine, comme en témoigne le phénomène migratoire de « Barça ou Barsax » (partir à Barcelone ou mourir).
Les chalutiers industriels étrangers sont à l’origine de la pauvreté des pêcheurs sénégalais
Les chalutiers industriels étrangers qui raclent les fonds marins sont à l’origine de la pauvreté des pêcheurs sénégalais, comme le soulignait la journaliste de la chaîne TV5 Monde, dans un reportage du 17 février 2022 intitulé Sénégal : l’accord de pêche impopulaire qui lie le pays à l’UE . « Depuis 2014, un accord de pêche tacitement reconduit tous les cinq ans, lie le Sénégal à l’Union européenne. 45 navires européens sont autorisés à pêcher 10 000 tonnes de thon et 1 750 tonnes de merlu noir par an dans les eaux sénégalaises. En échange, l’Union européenne et les armateurs doivent verser au Sénégal 3 millions d’euros chaque année. Plusieurs associations de pêcheurs locaux qui dénoncent une concurrence déloyale ». La rareté du poisson sénégalais entraîne de facto la cherté de cette ressource précieuse au Sénégal, à plus de titres. Il y a donc un danger pour ce pilier de l’alimentation (risque de famine), un manque à gagner énorme au niveau de la vente et de la transformation.
Cette importante matière première subit des problèmes de surexploitation. Comme l’avait bien expliqué pédagogiquement le journaliste Remy Nsabimane du média inclusif AJ+ français dans son reportage le « poisson détourné » du Sénégal; le secteur du poisson emploie plus de 600000 Sénégalais, 825 000 en tirent leurs revenus, fournit à lui seul 70 % des protéines animales du pays. En plus de la surexploitation des ressources, les acteurs de la pêche ont dénoncé le manque de transparence sur l’attribution des licences, l’absence de concertation.
Le journaliste a raison de souligner qu’au Sénégal, le poisson c’est plus qu’un aliment. Le thiéboudieune (riz au poisson) est un plat national sénégalais. Depuis le 15 décembre 2021, il est inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO. Le phénomène de rareté du poisson fait qu’en 2020, les prix des poissons frais ont augmenté de plus de 11 %, renchérit le journaliste (journaliste Rémy AJ+ français/ANSD). Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2018, la pêche maritime totalisait 524 851 tonnes partagée entre deux types de pêche : la pêche industrielle tournée vers l’exploitation et la pêche artisanale destinée au marché local. Une grande partie de poissons devant nourrir les Sénégalais est récupérée par des usines de transformation de farine et d’huile de poisson, c’est ce que Greenpeace qualifie de « détournement de poisson », une ressource de plus en plus rare.
L’organisation de protection de l’environnement Greenpeace appelle le Sénégal à geler son accord de pêche avec l’UE (Nadia Chahed, 18 novembre 2020) pour protéger ses ressources.
Les Sénégalais de la diaspora mesurent les enjeux et l’intérêt d’établir un partenariat gagnant-gagnant entre différentes parties : l’ère d’une justice sociale, fiscale inclusive. La richesse collective d’un pays doit être d’abord au service de la population locale, territoriale, nationale. Cela ne veut pas dire qu’il faut chasser les investisseurs étrangers. Tout au contraire, il faudra remettre sur la table tous les accords où le peuple sénégalais a été lésé au nom du bon sens, de l’économie inclusive et d’une croissance durable. En d’autres termes, il urge que les travaux parlementaires donnent une assise solide au prochain pouvoir en place afin de négocier convenablement avec les entreprises minières, pétrolières, gazières (des multinationales devenues plus puissantes que les États), investisseurs et/ou bailleurs de fonds. Ce changement de paradigme et de posture d’un leadership assumé permettra aux pays sous-développés de vivre dignement de leurs ressources, leur évitant ainsi une dépendance économique vis-à-vis des pays occidentaux. Voilà un enjeu clé qui va dans le sens de reprendre une véritable indépendance africaine.
Dans notre prochain article, nous reviendrons amplement sur le patriotisme économique qui reste un enjeu crucial pour l’élection présidentielle du 24 mars 2024.
Doudou Sow, sociologue, auteur et lauréat du Mois de l’histoire des Noirs
Par Doudou Sow le Mercredi 20 Mars 2024 dans Blogue. Aucun commentaire