« Ne pas engager le Sénégal dans le chaos, c’est aller à l’élection le dimanche prochain. Le pays n’a aucun problème si ce n’est un vieux président [Abdoulaye Wade] qui ne veut rien entendre et de toute façon sera chassé par les urnes le 26 février », disait l’opposant Macky Sall en février 2012. C’est la même personne qui vient aujourd’hui reporter l’élection présidentielle, une première dans l’histoire démocratique sénégalaise. Le report de l’élection présidentielle fait donc partie maintenant du sinistre bilan immatériel du président Macky Sall. Avec ce report violant le calendrier électoral de la présidentielle à quelques heures du début officiel de la campagne électorale, le Sénégal de Macky Sall continue d’être la risée du monde.

Un scénario planifié de report du scrutin présidentiel a été officialisé aujourd’hui par le président qui avait renoncé le 3 juillet 2023 à briguer un troisième mandat anticonstitutionnel, à cause de la pression populaire nationale et internationale, mais qui en réalité a toujours voulu garder le pouvoir, comme le prouvent les faits et ses multiples gestes antirépublicains. Sans surprise, le président-roi de la République Macky Sall a donc encore poussé le bouchon trop loin en reportant illégalement l’élection où des dépenses sont déjà engagées (bulletins déjà imprimés, achat de matériel de vote, premières déclarations de campagne déjà enregistrées à la RTS, budget, etc.) empêchant ainsi les Sénégalais de s’exprimer librement dans une vingtaine de jours par la voie des urnes, un choix démocratique qui a toujours caractérisé ce peuple digne et mature.

Mais, à qui profite réellement ce report de la présidentielle, devrait-on se demander ? Dans l’émission Jakaarlo du vendredi 2 février, le directeur des programmes de la TFM Bouba Ndour partageait une vérité connue et reconnue même par les enfants sénégalais : « L’élection est déjà pliée, chacun de nous connaît celui qui va gagner, c’est pourquoi certains souhaitent le report ». Le mandataire Amadou Ba a raison de dire qu’« il s’agit d’une crise interne de l’APR téléguidée par les sondages qui indiquent une défaite de son candidat (qu’il a désigné du bout des lèvres comme en démontrent les attaques répétées du ministre Mame Mbaye Niang et d’autres pontes de l’APR).».

Le président Macky Sall a toujours manqué de respect aux Sénégalais et le report anticonstitutionnel acté de la présidentielle à moins de 24 heures du démarrage officiel de la campagne électorale en est encore une preuve palpable. Lors d’un point de presse nocturne improvisé des leaders de la coalition Diomaye Président du vendredi 2 février, à quelques heures avant l’annonce décalée et inédite du message du président à la nation du samedi 3 février, le mandataire Amadou Ba du candidat-prisonnier Bassirou Faye a posé une question pertinente : « La commission d’enquête parlementaire [instituée par le PDS et soutenue par l’APR] qui n’a pas encore commencé son travail n’a pas encore entendu les parties incriminées. Comment cette commission peut en très peu de temps, en quelques jours voire quelques heures, nous sortir un rapport qui va servir de fondement au président de la République pour déclencher les pouvoirs exceptionnels de l’article 52? Nous voyons bien que nous sommes dans un mauvais polar politique et que le président de la République, en mauvais acteur de série B, essaie désespérément de créer une crise politique et institutionnelle et essaye de plonger le Sénégal dans le chaos. (…) Le président serait dans une situation de haute trahison et sa destitution ne constituerait pas un délit. (…) La commission d’enquête parlementaire n’a aucun pouvoir, et par l’article 46 de son règlement intérieur, ne peut même pas saisir le procureur ou un juge pour lui transmettre son rapport. ».

La candidature de Karim Wade est invalidée au motif de double nationalité interdite par la Constitution qui exige aux candidats d’être exclusivement sénégalais pour participer au scrutin présidentiel. Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours.

Un attentat contre le peuple sénégalais et la Constitution qui fixe le nombre et la durée de mandats.

Le doyen Habib Sy rappelait lors du point de presse d’hier que Macky Sall, président de la CEDEAO, a exigé que des élections se tiennent même dans des pays où il y a la guerre. « Cette commission d’enquête parlementaire ne peut pas entraîner un report des élections », réagissait ainsi cette semaine sur les ondes de Sud Fm le coordonnateur Forum civil, section sénégalaise de Transparency International, Birahim Seck. « Le PDS et le BBY veulent entretenir un amalgame pour faire croire aux Sénégalais qu’il y a une relation entre la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire et le report des élections. Il doit être levé sans équivoque », tranche-t-il.

Les experts, juristes, intellectuels, membres de la société civile ont largement documenté l’impossibilité de reporter l’élection présidentielle, mais le président Macky Sall n’a jamais respecté le principe de séparation de pouvoirs et n’a toujours appliqué la loi que lorsqu’elle allait dans le sens de ses intérêts propres. « À l’heure actuelle, ni l’Assemblée nationale ni le Président de la République n’ont les pouvoirs de modifier le calendrier électoral. Seul le Conseil constitutionnel peut le faire en application de l’article 34 de la Constitution ! », soutient l’expert électoral, Abdoulaye Ndiaga Sylla. Dans la même perspective, Me Mame Adama Gueye qui a une forte expérience dans les questions liées à la défense des droits de la société civile soutient mordicus dans une récente entrevue qu’« il n’y a aucun texte qui permet aujourd’hui de reporter les élections comme le veulent les députés du Pds et des députés de Benno ». Il n’est pas le seul avocat à penser ainsi. Me Abdoulaye Tine, par ailleurs, président de l’union sociale libérale martèle que : « toutes les conditions ne sont pas réunies pour que l’article 52 soit invoqué ».

Comme le soulignait le professeur Marie Teuw Niane et tant d’autres leaders, il n’y a aucune crise au Sénégal, toutes les institutions du pays fonctionnent normalement. On observe une crise du parti présidentiel et non celle des institutions. Autrement dit, « c’est l’APR qui est en crise, mais pas le Sénégal », indique à juste titre Ayache Bielsa dans  une de ses publications sur Facebook. « Les Sénégalais ont été surpris que la majorité présidentielle soutienne une résolution de mise en place d’une commission parlementaire, résolution dans laquelle il est bien mentionné que le premier ministre par ailleurs candidat à l’élection présidentielle, leur candidat, se serait rendu coupable de faits de corruption de deux magistrats pour invalider la candidature de Karim Wade Meissa Wade (du PDS). Cela révèle au moins une chose :  qu’il y a une grave crise politique interne à l’APR et qu’on a essayé de dériver, de travestir cette crise en crise institutionnelle dans le but désormais, non plus inavoué, mais quasiment avoué d’obtenir le report de l’élection présidentielle », disait d’emblée le mandataire Amadou Ba.

L’enseignant-chercheur en droit public à l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD) et constitutionnaliste Mouhamadou Ngouda MBOUP a démontré le seul motif de droit pouvant justifier un éventuel report du scrutin présidentiel. « Il est impossible de reporter une élection présidentielle, en dehors du seul cas de décès d’un candidat (article 29, alinéa 3 de la Constitution). Les articles 27, 29 et 103 de la Constitution constituent des obstacles rédhibitoires à toute tentative de report de l’élection présidentielle. »

Par voie de communiqué daté du 2 février, La Ligue des Imams et Prédicateurs du Sénégal (LIPS) rejette tout report du scrutin présidentiel. Un texte du Collectif de 52 professeurs d’université- au nom de l’idéal républicain et démocratique, le Sénégal doit aller à l’élection- s’oppose également à tout report de l’élection présidentielle.

Le Sénégal a tout donné au président Macky Sall, qu’il ait au moins l’élégance républicaine de nous laisser un pays en paix, sa principale ressource. À moins de 24 heures du démarrage officiel de la campagne électorale pour l’élection présidentielle du 25 février 2024, le président Macky Sall, comme à ses habitudes, prend en otage le peuple sénégalais qu’il a souvent méprisé. Alors qu’il était opposant, le candidat Macky Sall s’opposait catégoriquement à tout report de l’élection présidentielle. Il menaçait même l’ancien président Abdoulaye Wade si jamais ce dernier s’aventurait à outrepasser des droits que la Constitution sénégalaise ne lui permettait pas.

Doudou Sow, sociologue, auteur et lauréat du Mois de l’histoire des Noirs

Par Doudou Sow le Dimanche 04 Février 2024 dans Blogue. Aucun commentaire