Monsieur le secrétaire général de l’ONU,
Citoyen canadien d’origine sénégalaise, je me permets de vous interpeller humblement sur le recul démocratique, l’instrumentalisation politique de la justice et la tension préélectorale de mon pays d’origine causés exclusivement par le président Macky Sall.
Le Sénégal qui s’apprête à voter ce 24 février est à la croisée des chemins et retient son souffle à un mois de l’élection présidentielle. Le Sénégal a toujours été considéré, à juste titre, comme un modèle démocratique en Afrique et n’avait même rien à envier aux démocraties dites les plus avancées au monde. Mais depuis son accession au pouvoir, le président Macky Sall ne cesse de piétiner les acquis démocratiques, multiplier les interdictions de manifestation citoyenne et politique au Sénégal et museler l’opposition et les mouvements citoyens (emprisonnement de plus de 70 prisonniers politiques ou prisonniers pour délit d’opinion, parfois sous le prétexte de la reddition de comptes, alors qu’il excelle dans une justice sélective (Jeune Afrique : Sénégal : quand l’opposition passe par la case prison).
Le Sénégal va vers un contentieux électoral comme le prouvent l’instrumentalisation politique de la justice et les contestations judiciaires des décisions du Conseil constitutionnel, une institution qui connait une rupture de confiance avec le peuple sénégalais. Deux prétendants au fauteuil présidentiel ont déjà été écartés et condamnés par une justice inféodée au pouvoir, en l’occurrence l’ancien ministre libéral Karim Wade et l’ancien député-maire maire socialiste de la capitale Dakar, Khalifa Sall. Deux dossiers politico-judiciaires qui ont deux dénominateurs communs : procès politique et délit d’ambitions présidentielles.
La récente décision du Conseil constitutionnel d’invalider la candidature de deux adversaires redoutables du président candidat à sa propre succession vient augmenter le climat préélectoral déjà tendu et risque de faire vivre au Sénégal des conflits postélectoraux. En éliminant ses deux redoutables adversaires politiques, le président sénégalais Macky Sall, pense s’offrir un boulevard pour obtenir un deuxième mandat. Son premier ministre est même allé jusqu’à dire le nombre de candidats qui allaient se présenter avant la décision finale du Conseil constitutionnel qui a par la suite confirmé exactement les prévisions de Mahammad Dionne (sur les 27 candidatures pour la présidentielle ayant déposé leurs parrainages, seulement 5 ont été retenues par la plus haute instance du système judiciaire).
Le Sénégal a l’obligation de respecter ses propres lois et les conventions internationales qu’il a lui-même ratifiées.
L’État du Sénégal sous Macky Sall a violé plus d’une fois les règles du droit élémentaire des personnes. Khalifa SALL , actuellement en prison, qui est le « leader politique sénégalais le plus discret, le plus souple » comme le soulignait d’ailleurs Jeune Afrique dans sa livraison du 7 mars 2018 en a fait les frais. Les qualités de l’ancien maire de Dakar ne sont pas seulement appréciées par ses partisans mais aussi par ses homologues de l’Association internationale des maires francophones (AIMF) dont les soutiens les plus en vue ont été la mairesse de Paris, Anne Hidalgo et l’ancien maire de Montréal et actuel médiateur au Réseau mondial des élus locaux francophones, Denis Coderre.
À chaque fois que la justice sénégalaise a rendu un verdict sur le plan national, celui-ci a été contesté et condamné sur le plan international par des juridictions compétentes. Le gouvernement sénégalais a encore une fois de plus affaibli la démocratie sénégalaise en refusant de respecter les conventions internationales (décisions (février et juin 2013) de la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) condamnant l’État sénégalais pour avoir violé « le droit de présomption d’innocence de Karim Wade », pour Khalifa Sall « Présomption d’innocence bafouée, détention arbitraire, violation du droit à l’assistance d’un avocat et à un procès équitable… », des griefs de L’arrêt de la Cour de la Cedeao du 29 juin résumées par le journal Jeune Afrique dans son article intitulé JUSTICE-Affaire Khalifa Sall : le jugement sans concession de la Cour de la Cedeao; récente décision du Comité de l’ONU sur les droits de l’homme du 22 octobre 2018 demandant à l’État sénégalais « la réexamination »du dossier de Karim Wade; constatation du caractère inéquitable du procès et le caractère arbitraire de la détention de Karim Wade par le Comité du Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, etc.).
Le respect du processus électoral (avant, pendant et après les élections) est une condition indispensable pour une élection apaisée. Plusieurs faits concordants permettent de prouver une mainmise de fer du président Macky Sall sur le processus électoral. Le contentieux pré-électoral et post-électoral est la conséquence d’un processus électoral biaisé depuis le début et un faisceau d’indices montre une justice aux ordres du président Macky Sall. L’opposition qui dénonce le parrainage y voit incontestablement un moyen ou un système d’éliminer des adversaires.
Dysfonctionnements du processus électoral et rupture du dialogue politique
Sous l’ancien président Abdoulaye Wade, le fichier électoral était consensuel et accessible sur Internet depuis plus de 6 mois avant la date des élections. Pour le scrutin présidentiel de février 2019, le président Macky Sall est le seul candidat à l’élection présidentielle à avoir accès au fichier électoral intégralement. Une iniquité dans un État de droit, entre lui et les candidats de l’opposition, qui ont souvent exigé, en vain, l’accès à un fichier réel et équitable.
Le manque de concertation et de consensus sur le parrainage a été l’origine des manquements de la fiabilité du fichier électoral et des tensions qui en découlent dans un pays qui connaît le vote depuis 1848. Selon les révélations explosives du journaliste investigateur Mamadou Mouth Bane, les sept sages (du Conseil constitutionnel) qui ont validé les parrainages et les candidatures à l’élection présidentielle travaillaient avec un faux fichier électoral, taillé sur mesure par le président Macky Sall.
La mise en place d’un système de parrainage citoyen pour éliminer des candidats par voie judiciaire, un système de parrainage sans consensus et imposé par Macky Sall, unique responsable de l’instabilité politique actuelle, et la judiciarisation de la politique conduisent le Sénégal vers le chaos. En clair, un faisceau d’indices démontrant l’irrégularité du processus électoral semble indiquer la confiscation du pouvoir du peuple par le dictateur Macky Sall (emprisonnement et déportation de Karim Wade, emprisonnement de Khalifa Sall, imposition du parrainage, confiscation et rétention des cartes d’électeurs, exclusion des primo-votants, refonte de la carte électorale, imposition de son ministre de l’intérieur, membre de son propre parti, pour organiser frauduleusement les élections, etc.).
Il déroule son plan en posant plusieurs gestes sans être nullement inquiété. Le déroulement d’un schéma mis en œuvre par Macky Sall est exécuté à la lettre par son ministre de l’intérieur partisan, Aly Ngouille Ndiaye, qui a juré publiquement de tout faire pour que son candidat gagne au premier tour des élections en inscrivant et faisant voter massivement pour son candidat alors que des milliers de Sénégalais réclament depuis des mois leurs cartes d’électeurs, un droit constitutionnel.
Le respect des règles du jeu démocratique aboutirait à la clarté du scrutin, gage d’une élection apaisée, symbole de la tradition démocratique sénégalaise. Le coup de force électorale ne devrait pas passer et le chef de l’État Macky Sall doit libérer le peuple sénégalais reconnu pour son hospitalité légendaire. La maturité du peuple sénégalais a été souvent saluée sous les gouvernements de Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade. La démocratie sénégalaise est acquise au prix d’énormes sacrifices et le peuple sénégalais n’acceptera jamais une démocratie à rabais ou de façade.
Seules une mobilisation citoyenne et une intervention de la communauté internationale, peuvent faire reculer, avant qu’il ne soit trop tard, le président le plus impopulaire de l’histoire du Sénégal. L’absence de perspectives professionnelles conjuguée à une situation politique post-électorale tendue pousseront de plus en plus des milliers et des milliers de jeunes Sénégalais, dont les moins de 20 ans représentent 55 % de la population de 15 millions d’habitants, à emprunter le phénomène de l’immigration clandestine à leurs risques et périls, comme en témoigne le phénomène migratoire de « Barça ou Barsax » (partir à Barcelone ou mourir). Le consultant spécialisé sur des questions migratoires vous interpelle ainsi que toute la communauté internationale avant que ces jeunes désespérés prennent le chemin de l’exil en utilisant malheureusement les embarcations de fortune. La situation politico-judiciaire sénégalaise tendue n’est plus donc une question sénégalo-sénégalaise mais une problématique mondiale exigeant une solution collective urgente. Le contexte géopolitique sénégalais exige de ne pas abandonner à son triste sort cette ancienne vitrine de la démocratie africaine.
Pour conclure, Monsieur
le secrétaire général des Nations unies, je vous interpelle directement, en
tant que citoyen socialement engagé et lauréat du Mois de l’histoire des Noirs
2017, pour que vous fassiez revenir à la raison le président Macky Sall. Il
demeure fondamental, Monsieur Guterres, de lui demander urgemment de rencontrer
l’opposition et la société civile pour une concertation sincère sur la
fiabilité du fichier électoral et le pluralisme politique en vue des élections
transparentes, démocratiques et inclusives mais aussi d’inscrire sur la liste
de priorité les questions liées aux droits humains au Sénégal et l’instauration
d’un État de droit.
Doudou Sow, blogueur, citoyen socialement engagé et lauréat du Mois de l’histoire des Noirs 2017
« Continuons de montrer au monde que nous ne sommes pas indifférents. Continuons de prouver notre valeur par nos actes. Continuons de plus belle notre marche vers le progrès, en ne laissant personne de côté» soutenait le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, lorsqu’il « présentait ses priorités pour 2019 à l’Assemblée générale ». Extrait site officiel ONU- Image Photo Telesurtv.net
Lire mes différents articles sur la situation politique sénégalaise :
Sénégal: une élection présidentielle verrouillée par l’actuel président Macky Sall
Sénégal: le respect du processus électoral, condition indispensable pour une élection apaisée
M. Trudeau, les gestes posés par le président que vous accueillez sont dignes d’un dictateur
Sommet de la francophonie : les vraies affaires
Sommet de la francophonie : les vraies affaires
La maturité du peuple sénégalais citée en exemple dans un livre sur l’intégration des immigrants
La question des flux migratoires dans le contexte de la mondialisation de l’immigration
Par Doudou Sow le Vendredi 25 Janvier 2019 dans Blogue, Opinion. Aucun commentaire