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Le Sénégal, qui a connu une belle histoire avec deux alternances démocratiques en 2000 et en 2012, et aucun coup d’État, constituait un modèle de la démocratie africaine. Mais depuis son arrivée au pouvoir, le président Macky Sall a posé successivement des gestes antirépublicains et dictatoriaux, sans être nullement inquiété.
Depuis plus de cinq jours, le Sénégal est ingouvernable et compte ses morts à la suite d’une répression des forces de défense et de sécurité. Le pays est complètement à l’arrêt (fermeture des banques, écoles, commerces, transports, administrations, etc.). La condamnation à deux ans de prison ferme pour « corruption de la jeunesse », une infraction expliquée comme un geste poussant « à la débauche d’une personne de moins de 21 ans », rend inéligible le chef de l’opposition Ousmane Sonko, candidat déclaré à la présidentielle de février 2024. Il a pourtant été acquitté des accusations de viols et de menaces de mort dont il était principalement visé dans une affaire qui a tenu en haleine pendant deux ans le Sénégal, causant ainsi officiellement la mort de 14 personnes lors des violences de mars 2021 et d’au moins 19 personnes en juin 2022.
Conclusion de la justice sénégalaise : pas de viol ni menaces de mort, mais Ousmane Sonko sera quand même condamné pour l’écarter de l’élection présidentielle parce qu’il part favori dans les intentions de vote comme le démontre son ascension fulgurante vers le sommet. Chaque fois que la justice sénégalaise a rendu un verdict sur le plan national, celui-ci a été contesté et condamné sur la scène internationale par des juridictions compétentes. L’État du Sénégal sous Macky Sall a violé plus d’une fois les règles du droit élémentaire des personnes. Une justice inféodée au pouvoir même s’il existe toujours en son sein des juges et magistrats indépendants.
Cette condamnation d’un redoutable candidat n’est donc point une surprise pour qui connaît le fonctionnement de la justice au Sénégal. L’instrumentalisation de la justice à des fins politiques favorables au pouvoir est une réalité encore aggravée sous le régime de Macky Sall. Ousmane Sonko est le seul prétendant du fauteuil présidentiel à avoir échappé, grâce à la détermination des jeunes et du peuple sénégalais, à l’emprisonnement politique du régime de Macky Sall. Les principaux adversaires politiques, en l’occurrence l’ancien ministre libéral Karim Wade-exilé depuis plus de 2 ans- et l’ancien maire député Khalifa Sall, ont été écartés de manière arbitraire dans les élections présidentielles de 2019 et continuent de subir les condamnations de la justice de Macky Sall.
Après avoir affirmé sur toutes les tribunes nationales, internationales et même dans son livre « le Sénégal au cœur » qu’il n’a pas droit au troisième mandat, qu’il est à son deuxième et dernier mandat et qu’il ne se présenterait pas en 2024, le président sénégalais laisse planer une possibilité de troisième candidature, ce qui est contraire à la constitution sénégalaise qui stipule clairement en son article 27 que « nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». La volonté du président Macky Sall de briguer un troisième mandat est la source de tensions au Sénégal comme le rappelle souvent son ancienne alliée et première ministre, Aminata Touré, qui en fait un combat de principe.
Les Sénégalais tiennent mordicus à leur démocratie et à leur stabilité politique. Le Sénégal s’est toujours positionné, à juste titre, comme une vitrine démocratique en Afrique. « L’image valorisante d’une exception démocratique africaine » inspirait d’ailleurs plusieurs pays en proie à de vives tensions sociopolitiques ou ethniques. La maturité du peuple sénégalais a été saluée sous les gouvernements de Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade. Notre pays d’origine a connu un recul démocratique sous le règne de l’actuel président Macky Sall,
Les faits prouvant la dictature au Sénégal parlent d’eux-mêmes.
Les gestes posés par le président Macky Sall sont dignes d’un dictateur, trahissant ainsi tous les espoirs de son peuple. Ce président allergique à la critique avait juré de « réduire l’opposition à sa plus simple expression ». Il ne cesse de poser des actes qui vont dans le sens de sa déclaration tenue en marge du conseil des ministres décentralisés à Kaffrine en avril 2015. Il ne se limite plus à museler l’opposition et les mouvements citoyens, mais cible de plus en plus les journalistes indépendants critiques de la dictature de Macky Sall (intimidation, persécution et emprisonnement de Pape Alé Niang, Pape Ndiaye, l’éditorialiste Serigne Saliou Guéye, la liste est encore longue, sans compter les interruptions des signaux de télévisions et de radios dont la dernière en date est celle de Walfadjri, la voix des sans voix). Le Sénégal était 49e au classement mondial de la liberté de la presse en 2021 établi par l’ONG Reporters Sans Frontières (RSF). En 2022, il occupe le 73e rang sur un total de 180 pays, soit un recul de 24 points. Les journalistes critiques du pouvoir sont arrêtés, avec une volonté manifeste de les museler et de les humilier.
Depuis plus de 11 ans qu’il est à la tête du pays, ce président est en conflit ouvert et permanent avec son peuple. Force est de constater cette déconnexion entre le président Macky Sall et le peuple sénégalais, particulièrement sur les questions d’État de droit, de respect des libertés individuelles, associatives et de démocratie. Contrairement à ses prédécesseurs (Senghor, Diouf et Wade), le président Macky Sall ne laissera aucune lettre de noblesse à la démocratie sénégalaise.
La démocratie c’est partout dans le monde ou nulle part comme le soulignait Aurélien Taché, député français du Val-d’Oise et Coprésident du groupe d’étude sur les discriminations
La majorité des Sénégalais sont unanimes sur cette malheureuse évidence relayée lors du rassemblement à Paris de la toute nouvelle plateforme des Forces Vives F24 du Sénégal-qui regroupe plus d’une centaine de partis politiques et d’organisations de la société civile- par le député et trésorier du groupe écologiste Aurélien Taché : « Le Sénégal va aller dans le chaos si Macky Sall continue finalement à emprisonner ses opposants politiques et à violer ces élections ». L’État de droit doit s’appliquer partout dans le monde et la communauté internationale devrait dénoncer énergiquement toute instrumentalisation de la justice pour enfermer un leader politique, comme c’est le cas actuellement au Sénégal où le chef de l’opposition Ousmane Sonko subit depuis des années une injustice sans précédent. Il n’est pas placé en résidence surveillée par une décision de justice et pourtant il est séquestré avec sa famille depuis plus de 9 jours, sans accès à ses amis, avocats et partisans. Empêchés à plusieurs reprises de rencontrer leur client à la résidence Cité Keur Gorgui, Me Ciré Clédor Ly, a tenu à alerter, entre autres, la communauté nationale et internationale sur « les atteintes graves à l’exercice de la profession d’avocat par l’État du Sénégal ». Le membre du Collectif des avocats du principal opposant sénégalais informe que : « Le leader politique Ousmane Sonko est séquestré par plus de 500 policiers armés et équipés de véhicules de combat de destructions massives, à la cité Keur Gorgui, empêché de tout contact avec ses Avocats, par les autorités politiques agissant dans l’arbitraire et l’illégalité manifeste. La communauté internationale, l’Union Internationale des Avocats et toutes les organisations nationales et internationales de Droits de l’Homme, les chefs religieux et traditionnels du pays, sont interpellés pour qu’ils agissent par les moyens adéquats dont ils disposent, pour que les Avocats puissent accéder immédiatement à lui et exercer leur profession en toute liberté et indépendance. »
La situation de chaos que traverse le Sénégal est d’abord, certes une affaire personnelle sénégalaise, mais elle peut devenir à la longue un problème qui n’est pas qu’intrinsèquement sénégalais, loin de là. Rappelons que de nombreux Occidentaux vivent au pays de la « Teranga », c’est-à-dire l’hospitalité. Les Sénégalais qui ont toujours démontré une dignité ne demandent pas une ingérence des puissances étrangères, mais ont besoin, à tout le moins, un élan de solidarité dans un contexte de village planétaire. Les Occidentaux devraient tenir un discours ferme disant au président Macky Sall de respecter le processus électoral et ses propres engagements à ne pas briguer une troisième candidature anticonstitutionnelle conformément à la Constitution. La communauté internationale doit être cohérente, au nom des principes universels qu’elle défend, à savoir les idéaux de démocratie, de la liberté d’expression, de respect des droits humains, etc. Les conflits sociopolitiques augmentent le phénomène de l’immigration irrégulière ou illégale souvent dénoncé par les pays occidentaux. La communauté internationale a aussi tout à gagner en sauvegardant l’image d’un pays stable et démocratique servant de modèle en Afrique. Le contexte géopolitique sénégalais exige de ne pas abandonner à son triste sort cette ancienne vitrine de la démocratie africaine. Le candidat de la jeunesse-qui exprime un profond désir de changement- symbolise l’espoir de toute une nation. Les jeunes qui représentent 75 % de la population sénégalaise se mobilisent toujours du côté d’Ousmane Sonko et lui servent de bouclier lorsqu’il est attaqué de toutes parts par le régime de Macky Sall. On dénombre actuellement plus de 500 prisonniers politiques, majoritairement des militants du parti Pastef-Les Patriotes. Le candidat déclaré à la présidentielle de 2024 peut désormais être arrêté « à tout moment », prévient le ministre de la Justice, Ismaïla Madior Fall. L’heure est grave et les impacts de la tension sociopolitique ont également des répercussions sur le plan international. Le Ministère des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’Extérieur a informé par voie de communiqué en date du 6 juin de « la fermeture provisoire des Consulats généraux du Sénégal à l’étranger ».
Dire stop à un président qui érige en système une justice sélective et une mauvaise gouvernance économique
Les partenaires techniques et financiers (PTF) du Sénégal ont un levier pouvant inciter le président Macky Sall à mettre en œuvre ses engagements en termes de respect de la démocratie et de bonne gouvernance. En effet, Le Groupe élargi de concertation et de coordination des partenaires au développement du Sénégal (G50) avait exprimé ses vives préoccupations sur la situation de crise que traverse le Sénégal. En avril 2023, l’ambassadeur de l’Union européenne au Sénégal et vice-président du G50, Jean-Marc Pisani, avait recommandé particulièrement au gouvernement sénégalais de « veiller au renforcement de la stabilité politique », de procéder à « la mise en œuvre effective des priorités économiques et sociales ». En langage moins diplomatique, le GSO exigeait le respect de ses conditions pour participer favorablement au « Forum Invest in Sénégal prévu en juin 2023, qui devrait attirer davantage d’investissements au Sénégal ». Le G50 « exigeait » également d’être informé des enquêtes et des suites judiciaires du « Rapport de la Cour des comptes sur le Fonds Covid-19, mais aussi la publication des rapports annuels de la Cour des comptes 2018, 2019, 2020 et 2021, ainsi que des rapports d’exécution des lois de finances 2020 et 2021 ».
Visiblement, le président Macky Sall n’a pas respecté ses engagements. Les préoccupations légitimes des bailleurs de fonds pour « garantir la paix et la stabilité politique » restent les mêmes. Les risques politiques ne plaident pas pour un environnement économique stable. C’est un secret de polichinelle qu’un climat apaisé favorise un environnement sain et stable des affaires qui pourrait profiter aussi bien aux acteurs locaux qu’aux investisseurs internationaux. Au vu de la situation actuelle, le président Macky Sall ne peut plus garantir la paix et n’a plus de légitimité pour gouverner le Sénégal. En fin de règne, il sème la terreur au Sénégal. Ce n’est pas la première fois que l’on voit des nervis armés aux côtés des forces de l’ordre et que l’État du Sénégal démente également l’évidence. Le 5 mars 2021, l’ONG Amnesty International soutenait, par le biais d’un communiqué, que « des hommes en tenue civile, armés de gourdins et à bord de véhicules pick-up ont également été aperçus aux côtés des forces de sécurité dans plusieurs lieux à Dakar ». Dans un tweet, Amnesty International déplorait également le sentiment d’impunité au Sénégal : « Il y a deux ans (le ministre) Me Sidiki Kaba annonçait une commission d’enquête pour faire la lumière sur les 14 morts. Il y a deux ans, 14 étaient tués lors de manifestations violemment réprimées par les forces de sécurité. Soit il y’a enquête et justice. Soit il y a impunité ».
La coupure Internet mobile par le gouvernement constitue un « acte antidémocratique » condamné par L’Association des Éditeurs et Professionnels de la Presse en Ligne (APPEL).
Le président Macky Sall est entré par la grande porte de l’histoire politique sénégalaise et risque, par ses gestes dictatoriaux et d’inélégance républicaine, de sortir dramatiquement par la petite porte. Celui qui doit être le premier sénégalais à vouloir la paix dans le pays n’a jamais posé des actes dans ce sens ou permettant de donner un signal fort de dialogue constructif et sincère. La démocratie sénégalaise est acquise au prix d’énormes sacrifices et le peuple sénégalais n’acceptera jamais une démocratie à rabais ou de façade. Pour la sauvegarde de la démocratie et un legs aux générations futures sénégalaises et africaines, la diaspora sénégalaise restera toujours une sentinelle constructive. Une mobilisation citoyenne et une intervention de la communauté internationale peuvent faire reculer, avant qu’il ne soit trop tard, le président le plus impopulaire de l’histoire du Sénégal.
Doudou Sow, sociologue-blogueur, citoyen socialement engagé et lauréats du Mois de l’histoire des Noirs 2017 et du Gala de la Nuit de l’Excellence afro-antillaise 2019
Par Doudou Sow le Mercredi 07 Juin 2023 dans Blogue. Aucun commentaire