Sous le règne du président Macky Sall, le vote est devenu un privilège et non un droit constitutionnel sénégalais. Quelqu’un qui choisit ses candidats et ses électeurs choisit forcément ses résultats, répètent souvent les membres de l’opposition. Les chargés des élections de l’opposition ont donc du pain sur la planche et les citoyens sénégalais doivent se montrer heureusement encore plus vigilants, à moins d’un mois de la présidentielle, pour éviter la confiscation de leurs droits constitutionnels.  

Comme les années précédentes, il est le seul candidat à l’élection présidentielle à avoir accès intégralement au fichier électoral, une iniquité dans un État de droit pour les candidats de l’opposition qui ont souvent exigé, en vain, l’accès à un fichier réel et équitable. La fiabilité du fichier électoral a été remise en cause dans le cadre du parrainage citoyen.  Les révélations explosives sur l’existence de deux ou plusieurs fichiers électoraux et des preuves accablantes ont été aussi fournies par certains candidats recalés.

Les Leaders Alliés du Candidat Ousmane Sonko (LACOS) ont tenu un point de presse lundi dernier pour revenir sur plusieurs sujets en lien avec le contexte pré-électoral miné, entre autres, par l’élimination arbitraire du chef de l’opposition Ousmane Sonko, les défaillances du processus électoral et le plan d’action durant les prochains jours.

Au cours de cet exercice pédagogique de communication, la leader charismatique qu’on peut également surnommer la lionne Maimouna BOUSSO a fait un rappel historique sur les graves manquements du processus électoral sous le règne du président Macky Sall. Ses arguments sont solides (Lire à ce sujet nos différents articles Sénégal: le respect du processus électoral, condition indispensable pour une élection apaisée, HuffPost Québec, 21 janvier 2019; Le coup de force électorale du président-candidat Macky Sall, Integrationemploi.com, 13 février 2019; Une fraude électorale est-elle encore possible au Sénégal ?, 18 février 2019; Tentative de hold-up électoral au Sénégal : l’’histoire semble se répéter avec les élections législatives de 2022 par le sociologue Doudou Sow, 1er août 2022; etc.).

Compte tenu des réels enjeux, le député et président du groupe parlementaire Yewwi Askan wi Birame Souleye DIOP a aussi raison de lancer un ardent plaidoyer pour que les Sénégalais « votent, fassent voter et surtout sécuriser le vote » en vue de l’élection présidentielle du 25 février 2024.

« Chat échaudé craint l’eau froide », dit-on souvent. Après la mauvaise expérience du référendum, des dysfonctionnements dans l’organisation du vote des élections législatives du 30 juillet 2017 (et présidentielle 2019, législatives 2022) étaient notés dans presque tout le pays. L’État avait créé les conditions pour désorganiser volontairement les élections pour reprendre l’expression du célèbre journaliste indépendant Pape Alé Niang qui avait constaté, comme d’ailleurs tous les citoyens sénégalais, une planification savamment orchestrée par le pouvoir en place pour saboter le vote dans les localités qui ne leur étaient pas favorables (vol des élections, ordres de mission à Dakar (près de 7 500 ordres de mission, « Législatives 2017 : les ordres de mission ont permis à la coalition BBY (coalition présidentielle) de gagner les élections à Dakar», titrait un journal), fermeture de bureaux ou destruction et démarrage tardif des bureaux de vote dans les localités moins favorables à la mouvance présidentielle, manque de bulletins du candidat Wade dans son fief à Touba, début du vote tardif dans certains bureaux de vote défavorables au président, rétention des cartes d’électeurs, transfert de cartes d’électeurs d’une région à une autre, etc.). « Une plainte citoyenne (pour dénoncer l’exclusion des milliers de Sénégalais de leurs droits civiques consacrés par la constitution) était (même) déposée devant la cour de la justice de la CEDEAO».

Le 19 juillet 2018, le président du groupe parlementaire de la majorité présidentielle Ameyrou Gningue avait aussi fait une prévision sur l’issue de l’élection présidentielle (voire preuve en image). Cette prévision était confirmée par l’annonce de la victoire, avant la validation des résultats officiels, de l’ancien premier ministre, Abdallah Dionne, qui avait aussi annoncé le nombre de candidats qui seraient admissibles à l’élection présidentielle de 2019. Ce qui avait été confirmé par le Conseil constitutionnel, institution qui a toujours manqué le rendez-vous de l’histoire avec le peuple sénégalais, depuis quelques années.

En 2019, le titre du journal Walf Quotidien sur les déclarations de l’ancien premier ministre, Mahammad Dionne, au sujet du nombre exact de candidats à l’élection présidentielle avant la publication de la liste définitive par la plus haute instance du système judiciaire était une preuve flagrante de l’instrumentalisation des institutions sénégalaises par le pouvoir exécutif : «Mohammed Dionne « décrète »: « Il n’y aura pas cinq candidats face à Macky » («le 24 février, à 18 heures, tout sera déjà joué»), avait-il même ajouté».

Le président sénégalais choisit celui ou celle qui doit voter: en 2019, on estimait que 1 500 000 Sénégalais n’avaient pas encore reçu leurs cartes d’électeurs à moins d’un mois de la campagne électorale. Cette même situation voire pire prévaut actuellement. Selon les déclarations des oppositions basées sur les nombres issus du rejet du Conseil constitutionnel, plusieurs électeurs sénégalais estimés entre 900 000 à 1 million, près de 12 % selon certains chiffres (sans oublier les primo votants et d’autres électeurs qui n’ont pas parrainé les candidats à la présidentielle), risqueraient de ne pas voter le jour de l’élection parce qu’ils ont été enlevés à leur insu du fichier électoral ou à cause de la reconfiguration de la carte électorale. La manipulation du fichier électoral pourrait faire de telle sorte que des électeurs qui avaient parrainé des candidats de l’opposition se retrouvent dans des villes différentes. On se souvient aussi que le Conseil constitutionnel avait aussi travaillé sur un support électronique qui avait été manipulé en 2019 mais aussi en 2024.

En juillet 2022, rebelote de la tentative de confiscation du vote des électeurs lors des élections législatives.

Enfin, rappelons plusieurs actes d’une stratégie ou logique de hold-up électoral mise en place par le régime du président Macky Sall que nous avions soulevés dans notre article publié en février 2019 et intitulé Une fraude électorale est-elle encore possible au Sénégal?Nous constatons, avec regret, que certains de ses 9 actes sont toujours d’actualité (Lire à ce sujet l’article en question, ici).

Bien avant la déclaration de soupçons de fraude à grande échelle du pape du Sopi (changement, Me Abdoulaye Wade) et de la nécessité de sécuriser le fichier et la carte électorale avant l’élection, le leader et candidat à la présidentielle, Ousmane Sonko avait exposé, lors d’un rassemblement politique le 5 janvier 2019, les différents actes posés par le président Macky Sall pour dérouler arbitrairement son coup de force électorale présidentielle. L’histoire semble se répéter avec les derniers événements de l’élection présidentielle cruciale du 25 février 2024.

Des faits récents donnent encore raison à l’opposition, à la société civile et à la population (Premier acte d’une stratégie ou logique de hold-up électoral en amont-élection du 24 février 2019 par la mise à l’écart programmée de principaux adversaires politiques (idem 25 février 2024); Deuxième acte par le biais d’un système opaque du parrainage; Troisième acte sur le traitement inéquitable entre les candidats; Quatrième acte sur la fiabilité du fichier électoral – Les révélations sur l’existence de plusieurs fichiers ; Cinquième acte- l’imposition d’un ministre de l’Intérieur partisan pour organiser l’élection, une rupture dans le consensus électoral sénégalais ;  Constat et sixième acte matérialisés par le précédent des élections législatives de 2017– Le président Macky Sall aidé par son ministère de l’intérieur veut rééditer le coup de la désorganisation volontaire des élections législatives de 2017; Septième acte : la redéfinition de la carte électorale (bureaux et centres de votes) à quelques deux mois de l’élection présidentielle, une décision contraire aux directives de la CDEAO qui stipule le non-changement du code électoral avant six mois des élections (on en saura davantage sur ce point lors du dévoilement du nouveau fichier); Huitième acte – la baisse du poids électoral dans des localités ou zones où l’opposition est majoritaire; Neuvième acte : la censure sur les réseaux sociaux qui donne en temps réel les résultats).

Plusieurs faits concordants permettent de prouver une mainmise de fer du président Macky Sall sur le processus électoral. L’instrumentalisation politique de la justice, la fiabilité du fichier électoral, le choix d’une personnalité indépendante pour gérer les élections, le parrainage sont exactement des sources de conflits qui pourraient entacher l’image de la démocratie africaine.

Les candidats à la présidentielle ont été recalés sur la base d’un fichier de référence auquel un seul candidat, en l’occurrence le président Macky Sall, avait accès, un favoritisme et une grave discrimination. Le président Macky Sall est le seul candidat à l’élection présidentielle à avoir accès au fichier électoral intégralement. Une iniquité dans un État de droit, entre lui et les candidats de l’opposition, qui ont souvent exigé, en vain, l’accès à un fichier réel et équitable.

La question qu’il est légitime de se poser est de savoir pourquoi le gouvernement a retardé de donner le fichier à l’opposition. Certains acteurs politiques le soupçonnent de masquer leur campagne de fraude afin que l’opposition découvre tardivement les pièges de cet instrument de référence.

La Commission électorale nationale autonome (CENA), organe qui doit superviser les élections, a annoncé à moins de deux mois de la cruciale élection par le biais d’un communiqué en date du 5 janvier que « la version du fichier électoral actuellement disponible sur son site n’est pas encore mise à jour relativement à l’élection présidentielle du 25 février 2024 ». La question légitime qu’il faut se poser alors est à quel fichier s’est fié le Conseil constitutionnel pour entériner ou éliminer des candidats à la candidature dans la première étape du parrainage? Les électeurs et les leaders politiques de l’opposition pourraient ne pas savoir où se trouvent les bureaux de vote. La direction générale des élections (DGE) a informé les mandataires des candidats à l’élection qu’ils ne recevront le fichier électoral qu’à partir du 27 janvier (Loi n° 2021-35 portant Code électoral, «la liste des électeurs par bureau de vote, doit être remise quinze (15) jours au moins avant la date du scrutin» : la responsabilité de l’opposition est aussi engagée dans cette décision). Un fichier électoral, taillé sur mesure par le président Macky Sall, comme le répètent depuis plusieurs années les acteurs politiques, surtout de l’opposition.

On observe plusieurs éléments inquiétants : un constat récurrent de contestations, de légitimité et de crédibilité d’une administration et d’une institution partisane – un manque de confiance entre les acteurs politiques et certaines institutions (CENA, DAF, Conseil constitutionnel), comme le rappelait à juste titre Birame Souleye Diop.

Une décision volontaire et arbitraire savamment orchestrée par le pouvoir impacterait négativement certains électeurs qui pourraient être surpris lorsqu’ils se présenteront le jour du vote, si rien n’y fait, de constater que leurs noms ne figurent pas sur le registre électoral ou les listes électorales.

Si les électeurs sénégalais renoncent facilement à leurs droits de vote martelant du coup que l’élection sénégalaise est déjà volée, en clair s’ils s’abstiennent ou ne sécurisent leurs votes, le pouvoir en place aura donc réussi son coup de forfaiture.

Les différents acteurs politiques et la société civile doivent donc appeler les Sénégalais à aller voter massivement le 25 février et sécuriser davantage le vote pour amoindrir les risques de fraude électorale (identifier et localiser les bureaux fictifs, surveiller les abris provisoires représentant plusieurs bureaux de vote dans certaines zones, contrôler les duplicatas, empêcher la rétention de cartes d’électeurs, surtout des primo-votants, mutualiser leurs forces sur les effets pervers de la modification de la carte électorale, faire sortir le vote le jour du scrutin, etc.).

Le bourrage des urnes peut, certes, se faire difficilement le jour des élections mais un processus électoral biaisé, qui ne milite pas pour un scrutin régulier et transparent, donne une longueur d’avance au pouvoir en place qui détient la machine de l’État, les moyens financiers et une justice inféodée.

Parler de hold-up électoral n’est en aucune façon un aveu de défaite prématurée de l’opposition sénégalaise ou un appel à boycotter cette élection cruciale, ce qui serait une grave erreur. L’objectif de ce texte est d’analyser, faits à l’appui, les gestes posés par le président candidat Macky Sall pour empêcher certains Sénégalais d’utiliser leurs droits constitutionnels et forcer l’élection au premier tour de son candidat. 

Dans notre prochain article, nous reviendrons plus amplement sur les Pistes de solution pour sécuriser et faire sortir le vote le jour du scrutin pour diminuer les risques de fraude électorale en nous basant sur la littérature et les avis des experts et/ou chargés des élections des différents partis au Sénégal ayant une solide expérience pratique des rouages du système électoral.

Doudou Sow, sociologue, auteur et lauréat du Mois de l’histoire des Noirs

Images en illustration de l’article pour prouver les faits énoncés :

Par Doudou Sow le Mardi 23 Janvier 2024 dans Blogue. Aucun commentaire