Le Conseil constitutionnel a validé le vendredi 29 mars les résultats provisoires de la Présidentielle de la commission nationale de recensement des votes (CNRV) publiés, deux jours plus tôt, qui donnent largement victorieux le candidat Bassirou Diomaye Diakhar Faye, dès le premier tour.

Au total, 7 317 890 électeurs étaient appelés aux urnes le 24 mars dernier dans 16 440 bureaux de vote (soit15 633 au niveau national et 807 à l’étranger). 4 519 253 ont pu exercer leurs droits de vote avec 33 991 bulletins nuls, un fait inédit à creuser pour limiter ses impacts dans le futur. Cette élection pour le cinquième président du Sénégal, qui a enregistré un taux de participation très élevé (61,30 % contre 65, 63 % en 2019) a consacré la victoire éclatante dès le premier tour de Bassirou Diomaye Faye (54,28%).

Le candidat de la Coalition au pouvoir Amadou Ba arrive en seconde position avec 35,79%. Aucun des candidats suivants n’atteint le minimum de 5 % des suffrages valablement exprimés pour bénéficier du remboursement de la caution de 30 millions FCFA, afin de dissuader une floraison de candidatures peu sérieuses, conformément à la loi électorale en son article L 117. Le fonctionnaire international Aliou Mamadou Dia obtient 2,80%, l’ancien maire de Dakar Khalifa Sall arrive en quatrième position avec 1,56% et le reste des candidats récolte chacun moins d’1%.

Il convient de préciser que la décision du président Macky Sall de reporter unilatéralement l’élection présidentielle à 10 heures du démarrage officiel de la campagne électorale fut un précédent dangereux pour la démocratie sénégalaise.

C’est la première fois depuis 1963 qu’un scrutin présidentiel au suffrage universel direct dans un contexte de multipartisme est reporté au Sénégal. « J’ai signé le décret […] abrogeant [celui] portant convocation du corps électoral » le 25 février, disait-il, provoquant ainsi un profond séisme politique dans un pays considéré comme un phare de la démocratie en Afrique de l’Ouest. C’est la troisième fois que le pays de l’hospitalité pratique l’alternance dans les urnes depuis 1960, année de l’indépendance du Sénégal.

Le pays de la Teranga (l’hospitalité) organise pour la première fois une élection présidentielle sans la participation du président sortant

En effet, la pression populaire locale et internationale avait contraint le président Macky Sall à renoncer à briguer un troisième mandat contraire à la Constitution qui stipule en son article 27 que « nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ».

Des ténors de l’opposition exclus de l’élection présidentielle

Cinq candidats avaient été retenus lors de la présidentielle de 2019 par le Conseil constitutionnel contre 20 candidats en 2024. Même s’il y a eu plusieurs candidats validés en 2024, l’élection présidentielle a été marquée par plusieurs grandes absences de candidats notables de l’opposition pour différentes raisons (Ousmane Sonko, le principal leader de l’opposition, Karin Wade, candidat du parti historique PDS, l’ancienne première ministre et ministre de la Justice et présidente du Conseil économique, social et environnemental Aminata Touré, l’ancienne ministre Aïda Mbodj, etc.).

Plusieurs acteurs ont dénoncé le processus biaisé qui a contribué à éliminer le chef de l’opposition Ousmane Sonko. Pour la première fois de l’histoire politique sénégalaise, un président de la République qui instrumentalise la justice élime les candidats. Dans les ratés ou dysfonctionnements de cette élection, on peut également noter plusieurs faits inédits : 4 candidats à la présidentielle en prison dont le chef de l’opposition et le futur président, des anciens ministres et premiers ministres qui ne passent pas l’étape du parrainage au même moment où de nouvelles candidatures moins connues ou peu représentatives sur l’échiquier politique parviennent à franchir ce cap. Deux candidats en l’occurrence Karim Wade disqualifié par le Conseil constitutionnel pour parjure sur sa nationalité de même que Rose Wardini qui s’est retirée personnellement de la course à la présidentielle pour la même raison (binationalité interdite par la Constitution).

Pour la première fois, on a agité une commission d’enquête sur deux magistrats soupçonnés de corruption et de concussion durant les opérations de contrôle du processus de validation des candidats. Un fait inédit gravissime : un premier ministre accusé de corrupteur de juges et dont la confiance est renouvelée par le président qui a annulé le report de l’élection présidentielle, ensuite deux dates actées de l’élection présidentielle (par la présidence et le Conseil constitutionnel).

Pour la première fois, c’est la coalition présidentielle qui avait peur d’aller aux élections et l’opposition lui demandait de respecter le calendrier électoral républicain en disant ou scandant dans des manifestations (élection par force. Terminus 2 avril). Pour la première fois, des journalistes, sous le leadership de Mame Birame Wathie et l’éditorialiste Serigne Saliou Guèye, ont été obligés de créer le front pour la défense et de la démocratie (FDD) pour jouer leur partition en exigeant la tenue de l’élection présidentielle avant le 2 avril, date de la fin du mandat du président Macky Sall.

Un collectif de 41 candidats qui portent plainte font un recours une première fois dans l’histoire des plus de 440 000 parrains qu’on ne retrouve pas dans le fichier, dont des candidats à la candidature, des conseillers, des mandataires, un conjoint, etc. Une première fois, où un logiciel qui ajoute des lettres supplémentaires pouvant entraîner une élimination des candidats. Une première fois où on enlève des régions dans le fichier de candidats. Un bon candidat qui a une offre programmatique très intéressante pourrait être éliminé à cause de sa position dans le tirage au sort et des doublons.

La direction générale des élections (DGE) qui n’a pas le droit de trier ou de sélectionner des candidats a refusé deux fois d’appliquer des décisions de justice qui demandaient la réintégration de Sonko sur les listes électorales. La Commission électorale nationale autonome (CENA) qui avait un pouvoir de substitution de la DGE s’est vu couper l’herbe sous le pied par un décret illégal du président empêchant l’application de la décision de justice favorable à Sonko. L’État du Sénégal a refusé d’exécuter deux décisions de justice (le juge Ousmane Racine Thione a conforté son collègue Sabassy Faye) l’intégrant dans le processus électoral alors qu’il criait sur tous les toits que force restera à la loi et demande aux citoyens de respecter les institutions.

Les décisions de la direction générale des élections (DGE), la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et même du Conseil constitutionnel ont été des précédents dangereux pour la démocratie sénégalaise.

Deux candidats à l’élection présidentielle qui ne figurent même pas sur le fichier électoral ont été acceptés par la DGE alors que cette même instance a refusé de considérer le dossier de Sonko, qui était pourtant inscrit dans le fichier électoral. Les cas les plus célèbres sont ceux des candidats déclarés à l’élection présidentielle qui ne figurent même pas dans le fichier général des électeurs (Mouhamed Ben Diop et Mary Teuw Niane : deux candidats recalés) en plus de l’absence de certains de leurs parrains proches ou membres de la famille dudit fichier électoral; le traitement informatique bâclé des fichiers de parrainage décrit méthodiquement par le candidat recalé Charles Emile Abdou Ciss mais aussi d’autres graves révélations sur les doublons, les noms et prénoms inventés par le logiciel.

Pour une première fois, on organise une campagne électorale express réduite de trois à deux semaines. « La première fois qu’une élection se tienne pendant ce mois de jeûne (ramadan) dans ce pays à majorité musulmane » comme le soulignait la journaliste Allison Fernandes correspondante de TV5 Monde dans son reportage du 10 mars 2024.

C’est une présidentielle qui bat tous les records (plus jeune président, victoire historique dès le premier tour de l’élection, statut de candidat-prisonnier politique). L’opposant antisystème Bassirou Diomaye Faye, encore en prison il y a une dizaine de jours avant l’élection, devient le plus jeune président de l’histoire du Sénégal.

Pour la première fois en Afrique et au Sénégal en douze présidentielles au suffrage universel, un candidat de l’opposition gagne l’élection présidentielle dès le premier tour avec une victoire claire et nette.

Doudou Sow, sociologue, auteur et lauréat du Mois de l’histoire des Noirs

Par Doudou Sow le Jeudi 04 Avril 2024 dans Blogue. Aucun commentaire