Image : Jotna Média

Les résultats des récentes élections législatives démontrent une lourde tendance déjà observée depuis les élections locales de janvier dernier : le président Macky Sall ne dispose plus d’une majorité au Sénégal, au sens propre et figuré du terme. « Le camp présidentiel a perdu la majorité absolue à l’Assemblée nationale », voici ce que titrait la presse nationale et internationale après la proclamation des résultats officiels provisoires de la Commission nationale de recensement des votes (CNRV), le jeudi 4 août. La répartition des sièges au scrutin proportionnel et majoritaire donne 82 députés à la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar (BBY- « unis pour le même espoir »), 80 députés à l’inter-coalition composée de Yewwi Askan Wi (Yaw-Libérer le Peuple) formée autour du principal opposant Ousmane Sonko et Wallu Sénégal (« secourir le Sénégal ») dirigée par l’ancien président Abdoulaye Wade, et 3 sièges aux autres coalitions ( AAR Sénégal (Alternative pour une Assemblée de Rupture), avec comme tête de liste, Thierno Alassane Sall, ancien ministre démissionnaire du gouvernement Macky Sall; coalition Bokk Gis Gis Liggey (vision commune) de l’ancien maire de Dakar et ancien président de l’Assemblée nationale, Pape Diop; coalition Les Serviteurs-MPR de Pape Djibril Fall, un journaliste et ancien chroniqueur).  L’opposition réunie obtient donc 83 sièges sur les 165 que compte l’Assemblée nationale. Pour le moment, aucune coalition n’obtient la majorité. Les résultats définitifs seront prononcés par le Conseil constitutionnel, après l’étude des recours de l’opposition. Il convient aussi de préciser que le mandataire national de Yewwi Askan Wi (YAW), Déthié Fall, a saisi la Commission électorale nationale autonome (CENA), après le refus de la commission de recensement des votes de laisser des représentants (lui, Aldiouma Sow et un représentant de Wallu) contrôler des procès-verbaux, notamment ceux au nord du Sénégal, conformément à l’article L.0 142 du code électoral. M. Fall avait alors annoncé l’intention de la coalition YAW de saisir la CENA, bien avant la publication des résultats provisoires des élections législatives de la Commission nationale de recensement des votes (CNRV) prévues, hier jeudi à 17 heures. Plusieurs organisations administratives et institutionnelles interviennent dans les élections au Sénégal, contrairement au Québec où on a une seule instance Élections Québec, qui prépare, surveille et proclame les résultats des élections de manière transparente, un mode de scrutin simple avec un bulletin de vote unique. La transparence du scrutin fait que les résultats électoraux sont connus le jour du vote, quelques heures après la fermeture des bureaux de vote, avec peu de contestations (lorsqu’il y a seulement des résultats serrés). La clarté du processus démocratique laisse place à peu de contentieux pré et postélectoraux, ce qui que la population vaque à ses occupations dès le lendemain. Quels sont les faits saillants chiffrés et enseignements majeurs que nous pouvons tirer de ce scrutin historique sénégalais ?

La coalition présidentielle n’a plus la majorité absolue à l’Assemblée nationale, la vérité par les chiffres

L’opposition réunie obtient 83 députés, soit la majorité absolue. En comparaison des législatures précédentes, la coalition au pouvoir Benno Bokk Yakaar  raflait presque tous les postes de députés. En juillet 2012, la coalition présidentielle avait largement remporté les élections en obtenant 119 des 150 sièges de députés à l’Assemblée nationale. En juillet 2017, Benno Bokk Yakaar avait 125 députés sur les 165. L’opposition est donc passée de 30 députés en 2017 à 83 députés en 2022.

Une situation inédite de cohabitation au Sénégal amène de facto des compromis et un esprit de dialogue dans toutes les décisions qui devraient être prises. Ce qui est une bouffée d’oxygène pour les Sénégalais qui veulent accompagner tranquillement le président Macky Sall pour les 18 mois qui lui restent de son deuxième et dernier mandat (article 27 de la Constitution).

Malgré les irrégularités notées et dénoncées dans le vote, surtout dans certaines localités, plus particulièrement au Nord, le caractère symbolique de cette victoire du peuple sénégalais revêt plusieurs éléments. Le peuple sénégalais vient encore de dire non au président Macky sall qui a toujours déroulé son plan de manière anti-démocratique.

Même si aucune incidence majeure n’a été notée le jour du scrutin (excepté la vidéo où on voit des nervis tirer à belles réelles sur la foule. Guédiawaye : Des « nervis » tirent à balles réelles sur la foule) avec un taux de participation de 46,64 %, selon la CNRV, il faut analyser le processus électoral dans son ensemble. Le ministre de l’Intérieur Antoine Félix Abdoulaye Diome a fait mieux dans l’organisation de ses élections que ses prédécesseurs Abdoulaye Daouda Diallo et Aly Ngouille Ndiaye. Cela ne veut dire nullement que la fraude électorale n’a pas existé. Anticipant sur leur mode opératoire constant, nous avions publié (30 juillet à OO : 17) la chronologie de neuf actes soulevés dans notre texte publié en février 2019 et intitulé Une fraude électorale est-elle encore possible au Sénégal? et un autre article Tentative de hold-up électoral au Sénégal : l’’histoire semble se répéter avec les élections législatives de 2022 (1er août).

Un texte que nous avions publié dès les premières tendances des résultats publiés par les médias et le fameux point de presse de la tête de liste nationale, Mimi Touré, également ancienne première ministre qui  proclamait la victoire de la coalition présidentielle (tard dans la nuit, vers les coups de 00h-1h du matin; une tactique souvent utilisée des tenants du régime, toutes élections confondues, démontrant leur fébrilité et leur volonté d’influencer en leur faveur les acteurs institutionnels en charge des élections). Cet exercice que nous avions mené voulait rappeler aux Sénégalais que la vigilance devrait être mise mais aussi sensibiliser l’opinion internationale sur ce qui risquait malheureusement de se passer. Il ne faut pas être un génie pour prédire que le régime de Macky Sall fera tout en son pouvoir pour ne pas perdre ces élections cruciales, dernier test avant les présidentielles de 2024. Dans nos prochains textes, nous démontrerons pourquoi (1) le peuple sénégalais est le grand gagnant de cette élection et (2) comment Résister par tous les moyens possibles à la confiscation de la volonté populaire. Le président Macky Sall doit tirer les conséquences de cette défaite et de son impopularité qui ne cesse de grandir.

Plusieurs faits inédits méritent d’être soulignés

Malgré les irrégularités du vote constatées dans certaines zones du Sénégal, l’opposition sénégalaise réussit finalement son pari, celui d’imposer la cohabitation à l’Assemblée nationale. Un fait inédit qui mérite d’être souligné. Pour la première fois de son histoire politique, de 1960 à nos jours, le Sénégal expérimentera la cohabitation au niveau de l’Assemblée nationale. Dès lors, on assiste à une nouvelle configuration du système parlementaire, comme le soulignait à juste titre Déthié Fall, le mandataire national de la principale coalition Yewwi Askan Wi. Lors d’un point de presse tenu par la conférence des leaders le lundi dernier, en réponse aux chiffres fournis par la coalition présidentielle, il disait ceci : « La volonté populaire a fait de Benno (Bokk Yakaar) la nouvelle opposition ». Le pouvoir devient l’opposition à l’Assemblée nationale, tenait à souligner ce stratège. Un président en exercice se retrouve, pour la première fois au Sénégal, sans majorité absolue au parlement. Il faut préciser que sa déclaration était une réponse à la sortie prématurée des tenants de la coalition présidentielle sur l’issue du scrutin. La confusion s’était installée dans la proclamation des résultats : le parti au pouvoir avait donné, en premier, des résultats, tard dans la nuit. Un signe évident de fébrilité puisque la Commission nationale de recensement des votes est le seul organe habilité à proclamer des résultats officiels provisoires issus des procès-verbaux des départements.

Deux autres faits inédits marquent également cette élection : (1) qu’une liste de candidats suppléants de l’opposition-en fait les remplaçants pour reprendre le langage du football (communément appelé soccer au Canada), souvent inconnus du grand public- une liste de candidats suppléants de l’opposition qui bat la liste des candidats titulaires du pouvoir, (2) les électeurs sénégalais n’ont donné une majorité absolue à aucune des coalitions.

Les partisans de la coalition Yewwi Askan Wi taquinent les tenants du pouvoir sur le fait que leur coalition a été battue par une équipe de remplaçants. Les Sénégalais se disent également que le score de l’opposition allait augmenter si le nom du candidat Ousmane Sonko était sur la liste. Il n’y avait aucune photo d’un candidat dans le bulletin de la coalition Yewwi Askan Wi, contrairement aux autres listes (un avantage et un inconvénient). Plusieurs excellents profils ne siégeront pas donc à l’Assemblée nationale. Parmi ces figures, on peut citer d’anciens députés comme Ousmane Sonko, Aida Mbodj, Déthié Fall, Habib Sy, Malick Gakou.

La Coalition dirigée par le candidat Ousmane Sonko est allée aux élections législatives sans ses candidats titulaires. Sa liste nationale a été invalidée début juillet par le Conseil constitutionnel. Le ministre de l’Intérieur avait jugé irrecevable la liste nationale de la Coalition. Si on appliquait le même principe du respect de la parité, la liste de la coalition du parti présidentiel, Benno Bokk Yakaar (BBY) aurait dû subir le même sort (ne devait même pas participer aux élections si on se fie à la double juridusprdence du leader Malick Gakou, ne serait-ce que sur le dépassement du nombre de parrains), un exemple palpable d’une justice à deux vitesses.

En effet, Il y avait des désaccords sur les parrainages, les erreurs sur les listes. Les deux principales coalitions avaient commis des erreurs sur les listes (non-respect de la parité sur la liste de la majorité (BBY) ou l’investiture d’une même personne deux fois sur la liste nationale de Yewwi Askan Wi). La liste de la coalition de la majorité Benno Bokk Yakaar, avait aussi déposé plus de parrainages que le nombre requis par la loi. La double jurisprudence Malick Gakou devait s’appliquer sur toute la ligne. Le leader du Grand Parti avait vu sa candidature être recalée lors de la période de dépôt des parrainages et n’avait pas pu participer aux élections présidentielles de 2019, même s’il avait fourni les parrains demandés.

La fin de l’ère de la majorité mécanique, des votes sans débat (=peuple grand gagnant)

Si ces résultats venaient d’être confirmés par le Conseil constitutionnel, les négociations seraient intenses pour le poste de présidence de l’Assemblée nationale, la deuxième personnalité du pays, après le chef de l’État. La configuration actuelle de l’Assemblée nationale fera de telle sorte que des compromis seront nécessaires, et tant mieux si les intérêts exclusifs des Sénégalais sont pris en compte. Une autre bonne nouvelle, le vote des lois ne passera plus comme une lettre à la poste, une majorité mécanique qui se distinguait alors par des votes sans débat, etc.

Les faiseurs de roi, les 3 députés des trois autres coalitions (Thierno Alassane Sall, AAR Sénégal (Alternative pour une Assemblée de Rupture), Pape Djibril Fall, Les Serviteurs-MPR et Pape Diop, Bokk Gis Gis Liggey) seront certainement courtisés. Si les trois députés rejoignent l’inter-coalition YAW-Wallu qui dispose de 82 députés, ce sera alors la majorité absolue pour l’opposition réunie. Si l’un des trois députés rejoint le camp présidentiel, celui-ci aura une majorité absolue puisque disposant déjà de 82 députés. Le candidat Ousmane Sonko, en fin stratège, avait posé le débat de la transhumance lors de la campagne électorale irritant même certains leaders qu’ils accusaient de travailler pour l’ancien président Macky sall. Ces accusations de collusion de certains membres de l’opposition reviennent au premier plan dans la constitution de l’Assemblée nationale, advenant que les résultats soient officialisés. Des soupçons pèsent davantage sur un candidat, en l’occurrence l’ancien maire de Dakar et ancien président de l’Assemblée nationale et si un tel scénario devient possible, cela renforcerait davantage la thèse d’une majorité préfabriquée de 82 députés. Précisons que celui-ci avait demandé durant la campagne électorale le retour du Sénat dans la nomenclature politique sénégalaise :  Tête de liste de Bokk Gis Gis : Pape Diop prône et milite pour le retour du Sénat

Y-aurait-il un deal sur la base de cette demande ? Serait-il le Gloria (terme utilisé par le président Macky Sall pour annoncer le renfort d’autres transhumants après son alliance Mbourou ak Sow (de son ancien opposant et candidat arrivé deuxième à la présidentielle, Idrissa Seck)? Mystère et boule de gomme sur l’identité du Gloria. Les élections sénégalaises n’ont pas fini de nous révéler tous les secrets.

Les citoyens sénégalais doivent protéger leur victoire. Les combines d’une majorité préfabriquée (avant ou après les résultats des législatives) susciteront la colère des Sénégalais. Chat échaudé craint l’eau froide, dit-on souvent. Il faudra rester vigilants, mettre des mécanismes pour éviter que l’actuel pouvoir détourne le vote des populations exprimé librement dans les urnes. Le débauchage de certains députés de l’opposition demeure un acte symptomatique de la transhumance politique. Il est fréquent de constater, hélas, que des politiciens qui avaient été pourtant élus sous la bannière de l’opposition rejoignent le parti au pouvoir, pour des raisons souvent opportunistes. Ce phénomène de transhumance politique a été lourdement sanctionné par la population sénégalaise lors des élections municipales de janvier 2022 et législatives, un peuple dont il faut saluer la maturité politique. Mais il faut garder à l’esprit que le président sénégalais excelle dans cet exercice, qu’il avait pourtant dénoncé lorsqu’il était dans l’opposition. « Si Macky Sall n’a pas inventé la transhumance politique, il aura néanmoins contribué à hisser ce travers de la politique sénégalaise à des sommets rarement atteints», observaient les journalistes Mehdi Ba et Marie Toulemonde de Jeune Afrique dans un article intitulé Au Sénégal, la transhumance, c’est tout un art.

Doudou Sow, sociologue-blogueur, citoyen socialement engagé et lauréats du Mois de l’histoire des Noirs 2017 et du Gala de la Nuit de l’Excellence afro-antillaise 2019

Lire mes différents articles sur la situation politique sénégalaise :

Tentative de hold-up électoral au Sénégal : l’’histoire semble se répéter avec les élections législatives de 2022

Tentative de hold-up électoral des élections au Sénégal sous le régime du président Macky Sall 

Les enjeux du scrutin des législatives au Sénégal

Législatives au Sénégal, un scrutin test avant les présidentielles de 2024

Résister par tous les moyens possibles à la confiscation de la volonté populaire

Élection au Sénégal : pour un scrutin libre, démocratique et transparent

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Sénégal: une élection présidentielle verrouillée par l’actuel président Macky Sall

Sénégal: le respect du processus électoral, condition indispensable pour une élection apaisée

Lettre ouverte au secrétaire général de l’ONU, António Guterres, sur la situation politique tendue au Sénégal

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Par Doudou Sow le Vendredi 05 Août 2022 dans ACCUEIL, Blogue, Opinion. Aucun commentaire